From Hell s’offre au spectateur comme une expérience esthétique dont l’intensité n’a d’égale que la richesse de l’univers qu’il compose, un univers qui réussit à articuler les enjeux de la reconstitution historique avec une ambition artistique prononcée adaptée de la bande dessinée de même nom d’Alan Moore et Eddie Campbell (1989). Le film articule deux mouvements opposés, l’un situé du côté de la descente aux enfers, l’autre du côté de la renaissance : l’inspecteur Abberline apparaît d’abord étendu sur un canapé rouge, occupé à « chasser le dragon » ; la suite de son enquête le conduira à parcourir les bas-fonds de Londres, en s’enfonçant toujours plus loin dans l’horreur. Face à lui, Mary Kelly quitte progressivement son statut de fille de joie pour devenir enquêtrice à part entière, associée à Abberline, puis recommencer son existence ailleurs en compagnie d’une petite fille. L’idéal pastoral établi par la vision de l’inspecteur constitue la dernière image que ce dernier verra ; deux pièces d’argent assureront ensuite son passage dans l’autre monde.
Dit autrement, la prostituée que l’on croyait trucidée poursuit sa vie, mieux en change, et l’inspecteur cède aux poisons qui le font voyant par un dérèglement de tous les sens. La mise en scène du long métrage est à l’unisson des visions d’Abberline : filtres de couleur, angles insolites, images déformées, transitions subtiles ; nous ressentons et apprécions le sens du rythme et du montage des rappeurs Albert et Allen Hughes. Là où leurs clips représentaient les ghettos au sein desquels était recluse la communauté afro-américaine, leur long métrage s’attache à des lieux également en marge, des ruelles crapoteuses du quartier de Whitechapel aux morgues et quartier général des membres de la Franc-Maçonnerie. Jack l’Éventreur tend ainsi à se diffuser parmi nombre de personnages répugnants, il trouve des avatars en cette collection de proxénètes, d’escrocs et d’aristocrates fanatiques qui effraient davantage que John Merrick exposé tel un phénomène de foire.
From Hell est une œuvre foisonnante qui ouvre des portes donnant sur d’autres œuvres – pensons au puissant The Elephant Man (1980) de David Lynch –, descend dans une humanité basse et crasseuse pour mieux en extraire une vitalité et une bonté gardées intactes, celles de Mary qui refuse qu’on la réduise au métier qu’elle exerce par défaut, anticipant en cela le travail d’un Tom Tykwer sur le roman de Patrick Süskind (Perfume: The Story of a Murderer, 2006). Un grand film alchimiste qu’interprète un Johnny Depp parfait.