S’il existe un tueur en série qui est resté mythique (encore plus que Charles Manson), c’est bien Jack l’éventreur ! En effet, on retrouve dans ce mythe tout ce qui peut stimuler l’imagination : des meurtres particulièrement abominables, le quartier de Whitechapel qui correspond à la face sombre du Londres victorien (saleté, prostitution, criminalité, drogue …) et surtout un tueur jamais identifié. Dès lors, chaque œuvre s’en inspirant n’est qu’une interprétation de ces faits et laisse donc une totale place au fantasme.
La bande dessinée From Hell est donc une vision très éloignée de la vérité (il est quasiment impossible que la personne désignée par Alan Moore et Eddie Campbell soit le meurtrier et rien n’accrédite la moindre implication de près ou de loin de la franc-maçonnerie) mais une pure création artistique. Il ne faut donc pas chercher une recréation réaliste de l’histoire de Jack l’éventreur dans l’adaptation cinématographique de ce roman graphique qui a été faite par Albert et Allen Hugues.
Les deux jumeaux cinéastes (qui avaient surtout marqué les esprits avec leur film coup de poing Menace II Society) offrent donc une vision très esthétisée de l’histoire (accélérés, fondus, magnifique photographie possédant une colorimétrie très poussée rappelant les films de la Hammer, ciel rouge, surimpression, travail sur les raccords entre les séquences…). Les frères Hugues cherchent donc à offrir une œuvre fantasmant cette époque
(l’inspecteur Abberline boit de l’absinthe et consomme du laudanum, tout comme Jack l’éventreur, et de l’opium)
évoquant certains films traitant de cette époque (
on aperçoit Elephant man,
les choix esthétiques rappellent le Dracula de Coppola…) : la vérité sur cette affaire n’étant pas connue, autant accentuer l’aspect purement cinématographique de cette histoire ! Il n’est donc pas très surprenant de retrouver un titre de Marilyn Manson (The Nobodies) dans le générique final.
Si d’un point de vue visuel, From Hell est impressionnant, l’histoire n’en est pas moins prenante. Les scénaristes Terry Hayes et Rafael Yglesias livrent une histoire prenante soulignant les préjugés
(le supérieur d’Abberline est convaincu que l’éventreur ne peut pas être un anglais bien né et désigne directement et sans aucune preuve les juifs et les indiens)
et la dureté de la vie à cette époque
(ce qui explique, avec le décès de sa femme lors de son accouchement, qu’Abberline se réfugie dans des paradis artificiels)
. Toutefois, on pourra reprocher à ce script de résoudre l’enquête trop rapidement mais cela était peut-être inévitable en adaptant en moins de 2 heures une bande dessinée de plus de 500 pages (même si cette adaptation est assez libre).
Enfin, il serait injuste d’oublier le casting regroupant Heather Graham, Ian Holm, Robbie Coltrane et surtout Johnny Depp dans un rôle typiquement taillé pour lui.
From Hell est donc une belle réussite qui, si elle est très loin de la réalité historique, possède une force visuelle indéniable et qui est toujours plaisante à revoir.