Chad Chenouga avait présenté son film précédent, De toutes nos forces, dans un ciné-club où le public était constitué en grande partie d’enseignants. Parmi eux, deux profs d’histoire ont raconté au réalisateur qu’ils avaient travaillé sous les ordres d’un principal adjoint atypique qui avait trahi sa fonction : il avait triché en utilisant un corrigé pour son fils qui passait le brevet. Mais, comme il était bien noté, l’Académie avait étouffé l’affaire et il avait même été nommé principal dans un autre collège.
Pour le Principal, Chad Chenouga s'est inspiré de lui-même et de son frère. Il précise : "J’ai un frère comme celui de Sabri, Saïd, qui a le même genre de fragilité mentale. Quand on va sur la tombe de notre mère comme le font Sabri et Saïd, il nous est arrivé de jouer à « ni oui ni non »... Ce sont des moments qui nous ramènent à l’enfance et je m’en suis servi pour le film. Cette relation avec mon frère a beaucoup apporté au personnage. J’ai dit à mon frère que ce Saïd était à la fois lui et pas lui, mais dans le fond, c’est beaucoup lui."
Un des grands sujets du Principal est le mensonge. Dans 17, rue Bleue, le premier film de Chad Chenouga, le metteur en scène évoquait le fait que sa mère avait eu un amant sans être mariée, en Algérie : "Elle avait 21 ans, et c’était un vrai scandale. Un industriel l’avait prise sous son aile, et je suis né en France à la fin de la guerre d’Algérie, en 1962."
"Quand des années après, cet homme est mort, ma mère a fait un faux testament pour pouvoir hériter d’une partie de sa fortune. Du coup, il y a eu un procès qui l’a minée. Elle en est morte. Moi, je n’étais pas le fils de cet industriel, ma mère me faisait croire des trucs sur mon père et elle ne nous a jamais appris l’arabe, à mon frère et moi. Bref, j’étais en porte à faux."
"Sans compter qu’on m’appelait Robert qui est mon deuxième prénom. Tout petit, après la maternelle, un maître m’avait interrogé sur mon prénom et il avait décidé de m’appeler Robert. J’ai repris mon prénom Chad longtemps après, quand j’avais 19 ans."
Avec Le Principal, Chad Chenouga retrouve Yolande Moreau, qui était dans De toutes mes forces. Le réalisateur confie : "Dans celui-ci, elle occupe une place singulière, à la fois maternelle et romanesque. Elle est la principale du collège, elle est un déclencheur de vérité aussi... Elle s’est fabriqué un personnage rêvé, elle a fantasmé sur Sabri et il se révèle en dessous de ce qu’elle a rêvé de lui. Elle est déçue, forcément."
Chad Chenouga voulait que la caméra scrute le personnage de Roschdy Zem et capte quelque chose d’insondable en lui, dont il n’a pas conscience lui-même : "On avait fait au préalable un découpage. On essaie de voir ce que la scène raconte et comment on la filme."
"Après parfois, quand on arrive dans un décor, ça peut être pas mal de changer, de faire autrement pour être au plus juste des personnages. Le jeu des acteurs aussi peut modifier la mise en scène. Il faut faire confiance aux interprètes, à leur présence physique."
"La scène de bagarre par exemple, on l’a réglée avec Roschdy Zem sans faire appel à un cascadeur. La scène du pot de départ a été jubilatoire à tourner. Sabri est pris dans le tourbillon de ses ennuis avec l’Académie. Il doit donner le change car il est entouré de professeurs."
"Mais il est mal, alors ses perceptions sonores s’altèrent. Je le raconte avec des sons différents et des flous. Jouer avec l’image et le son, c’est quand même ça le cinéma..."
Chad Chenouga a tourné Le Principal pendant le confinement, à Mulhouse et dans les quartiers de la périphérie. Il se souvient : "On avait besoin d’un collège intéressant à filmer, ce qui n’est pas évident. Celui-ci est très graphique. Il fallait aussi qu’il y ait une cité. Ça pouvait se trouver n’importe où à condition que les décors me plaisent. C’est très important d’avoir les bons décors pour de multiples raisons : les atmosphères, la profondeur de champ, la crédibilité... On doit y croire. Mais sur quoi est fondée notre croyance quand on voit un film ? Qu’est-ce qui fait que l’on est pris ou pas ?"