Si le nom d’Élisabeth d'Autriche peut sembler anecdotique pour certains, d’autres y verront le fantôme de l’impératrice Sissi, déjà vue et connue les traits de Romy Schneider ou dans des œuvres d’animation. Bien entendu, il ne sera pas question de sa destinée amoureuse, ni de son pouvoir politique, ni de son assassinat, ou presque. Marie Kreutzer (The Fatherless, Gruber is leaving, We Used to Be Cool, The Ground beneath my feet) préfère de loin s’attarder sur le 40e anniversaire de la souveraine, née la veille de Noël, une date qui n’est ni une fête, ni une délivrance pour cette dernière. On renverse l’imaginaire luxueux et on prend le contrepied des apparences pour enfin se pencher sur une femme, dont on ne fait que comprimer ses désirs, laissant ainsi paraître une douleur qui la rend autant mal aimable qu’imprévisible.
Il ne faut pas longtemps pour comprendre l’angoisse qui entoure l’impératrice, que ce soit dans son intimité ou sur la scène publique. S’exprimer devient une contrainte que l’on va contrebalancer par une mise en scène, au service de l’interprète principale, Vicky Krieps, indéniablement royale dans un rôle et un costume qui l’étouffe. Son quotidien est régi par sa morphologie, son âge, son poids et son genre. Le portrait qu’on fait d’elle n’immortalise donc que sa détresse et sa décadence, tandis que les proches de la famille royale conditionnent des ragots et autres rumeurs sur ses impulsions les plus infimes. Aux côtés de la réalisatrice autrichienne, les deux femmes doublent ainsi cette peine, en usant d’anachronisme venant extirper l’impératrice de l’image figée que l’on a d’elle pour le mouvement, symbolique d’une révolte consentie.
L’insertion du cinéma, comme art anachronique et intemporelle, fait partie de son langage, tout comme cette vulgarité que Sissi s’approprie et qu’elle déploie dans la spontanéité de ses émotions. Le pouvoir y est directement impacté et l’emprise de son mari, Franz Joseph (Florian Teichtmeister), fait l’objet d’un amour contrarié, illustrant un peu plus la solitude de Sissi, dans les bras des dames qui la coiffent. Si tous les hommes lui refusent ses désirs, elle ne peut qu’entreprendre de se rechercher un peu, à travers des visites de courtoisie dans des hôpitaux notamment, où elle se sent déjà plus chez elle, loin de l’hypocrisie monarchique. À table, on évide juste à temps le cœur d’un fruit que l’on entretient dans sa jeunesse et non dans sa maturité. C’est le constat que l’on peut se faire en observant solennellement la reine de Hongrie et la mère dont les enfants lui sont arrachés d’une manière ou d’une autre.
Nous sommes donc loin de la figure de grâce que les livre d’histoire peuvent nous conter. On sort du cadre scolaire pour ainsi laisser la femme s’exprimer, derrière les offenses qu’elle subit au quotidien. Dans « Corsage », les femmes de tout âge sont conscientes de leur condition, dont la superficialité des coutumes et des détails corporels factices, ne laissent plus rien transparaître que des fêlures sur des visages voilées. Le geste est donc noble et les arrangements de la chanteuse-compositrice Camille Dalmais trouveront les bons mots pour tirer sur l’alarme, avant que ça n’empire. Ainsi, le commentaire de l’impératrice, par le prisme de l’apparence, rend son portrait plus vivant et étrange dans le même mouvement, car l’image l’a rendu muette, en opposition à sa fille, qui se raccroche à la convenance de ses aînés, qui la vampirisent du matin au soir.