En imaginant le dysfonctionnement dont le destin frappe l'héroïne du film, Juanjo Giménez Peña n'a pas cherché à reproduire des faits réels. Le réalisateur explique toutefois : "Il y avait un désir initial de jouer avec les outils fondamentaux du cinéma, ainsi qu’une certaine volonté d’expérimentation formelle dans le cadre d’une narration classique."
"Mais, presque par hasard, on s’est rendu compte que le syndrome dont souffre notre conceptrice sonore existe bel et bien dans le monde réel."
Au cours de la phase de documentation, Juanjo Giménez Peña est tombé sur l’histoire de "PH", un pilote de ligne sud-coréen qui perçoit les paroles de son interlocuteur quelques secondes après que ses lèvres ne se mettent à bouger. Il se rappelle :
"On a appris que les personnes souffrant d’un tel décalage finissent par s’y habituer et apprennent à vivre avec. On s’est beaucoup intéressés au monde des sourds, des daltoniens, en quête d’univers similaires à celui que nous voulions percer."
Juanjo Giménez Peña et le directeur de la photographie Javi Arrontes ont mis au point deux angles de base concernant la mise en scène : un pour les séquences synchrones, l’autre pour les séquences asynchrones. "On s’est évertués à créer un monde sonore désynchronisé, et ce dès le tournage, en tâchant de ne pas nous reposer entièrement sur la postproduction", se remémore le cinéaste.
Dès le début, Juanjo Giménez Peña a voulu créer un film de genre qui n’en aurait pas l’air. Le metteur en scène avait comme références des stimuli très variés sortis de films ayant marqué son enfance, comme Carrie ou Dead Zone, les comics Marvel racontant les origines des super-héros ou encore des films plus récents comme Thelma ou Border. Il précise :
"Un film tel que Chantons sous la pluie est même entré dans l’équation, à un moment donné. Parmi ce mélange de stimuli, la personnalité de En décalage devait s’affirmer."
Juanjo Giménez Peña ne voulait pas insérer de musique dans En décalage, sauf si elle provient spécifiquement de l'action du film. Il note : "Utiliser une musique non diégétique signifiait trahir complètement l’esprit du projet. Et pas d’effets spéciaux criards – le surnaturel devait émaner totalement de l’univers sonore."
Durant la postproduction de En décalage, Juanjo Giménez Peña et son équipe ont sacrifié bon nombre de séquences narrativement conventionnelles au profit de séquences plus sensorielles. Le réalisateur raconte :
"Certaines d’entre elles ont été improvisées sur le plateau – chose impensable sur un projet comme celui-ci. Le paradoxe est que l’essence de En décalage ne peut être expliquée qu’à travers un film à la bande-son asynchrone. Bresson a dit que le cinéma sonore avait inventé le silence. Mais il n’a rien dit sur la désynchronisation."