5sur5 Oshii a beau être présumé sceptique en l'Homme, son oeuvre est autant chargée de pessimisme que d'élans salvateurs, comme percutée par une foi insensée. L'auteur de Ghost in the Shell veut croire en une humanité grandiose, en la possibilité d'un environnement plus harmonieux et plus élevé. Artisan du Beau, de l'édifiant, il est le misanthrope humaniste par excellence.
Son Avalon, par ses résolutions formelles et son aspect hermétique, abandonnera bon nombre de curieux [il fait partie de ces ''on adore on ou déteste'']. Tant mieux, le voyage que nous propose Oshii se veut sans escale, préférant foncer droit sur l'idée. Le concept repose sur la relation d'une héroine et de l'univers du jeu-vidéo. Pas particulièrement iconoclaste, surtout deux ans après le vertigineux eXistenZ de Cronenberg, mais pas encore un cas d'école pour autant (nous sommes en 2001, toujours dans l'ère pré-Matrix).
Les perspectives d'Avalon et d'eXistenZ sont très voisines, il s'agit d'ailleurs dans les deux cas de voir réel et faux (virtuel) se fondre en une seule projection fantasmatique [la structure mentale, ici, est en revanche encore plus mouvante et fluide]. Cependant et en dépit du point de désincarnation ultime atteint, Avalon envisage davantage cette projection comme celle d'un être résolu à subir un test. Franchir un niveau ne compte pas tant que d'exister ici et maintenant. Oshii réfute les gimmicks de l'heroic-fantasy et dans le même mouvement la dimension initiatique cloisonnée par un tel registre. Ash, l'heroine, n'est manifestement pas en marche pour une quelconque quête définie, elle se livre corps et âme avec un but obsessionnel : re-créer le Monde. Elle ne veut pas façonner une entité perfectible à partir des données à sa disposition, elle veut engendrer un espace ou elle pourra s'accomplir.
Oshii nous présente alors son quotidien asthénique -mais sous des apparences mélancoliques, puis l'assiste lorsqu'elle abandonne les quelques plaisirs de son passé, fuyant ces quelques ilots de satisfaction molle pour investir un monde complet et répondant de façon exhaustive à ses attentes [''l'île'' dans le scénario]. Avalon est ainsi un parcours fascinant vers la consécration de Soi. Derrière l'austérité exemplaire de l'approche, plutôt qu'un propos intellectualisant, c'est surtout un idéalisme sans failles qui entraîne le film vers des cimes majestueuses. Tout plutôt qu'une humanité infirme : Oshii la veut bien décadente, en proie au chaos, sophistiquée jusqu'à étouffer la foule, pourvu qu'elle soit exaltée et animée par un désir d'ascension.
En impliquant le spectateur dans cette odyssée métaphysique, Avalon peut rebuter pour les même raisons qu'il envoûte sans restrictions. Le dispositif labyrinthique épouse parfaitement l'esprit du jeu-vidéo, comme aucun film ne l'a fait [depuis, éventuellement, Videodrome, mais c'est un cas tout autre]. C'est monstrueux au sens littéral. De même, on ne fait probablement pas erreur en tenant Avalon pour le film rêvé quand au traitement de l'émergence d'une réalité nouvelle. Le pacte fictif/virtuel que conclu Ash pour le passage lui donne les clés de l'absolu du factice. Celui-ci est un refuge, mais c'est aussi la finalité envisagée. Accessoirement, cette réalité d'un genre inconnu donne aussi à méditer une manière de concevoir le fantastique avec langueur.
Le spectacle est fidèle à cette mesure : esthétiquement, Avalon est un électron libre, au style iconoclaste. C'est dans un cadre délétère que la pensée d'Oshii et les voeux d'Ash se déploient. Tourné en Pologne, le film puise les modèles de son graphisme dans une imagerie européenne et nippone. Les prises de vues, dans l'ensemble retouchées en profondeur à l'ordinateur, semblent permettre à Oshii de conserver un pied dans l'animation [c'est le secteur ou il a été étiqueté] tant les procédés s'en rapprochent, mais c'est pour un résultat tiraillé entre lyrisme numérique et naturalisme étranger. Le découpage est dans la lignée de celui de Ghost in the Shell ; de la même manière, des avatars de la mythologie de l'oeuvre d'Oshii, comme le ''ghost'', semblent ressurgir. Dans la forme comme dans le fond, il y a eu synthèse et nouveau départ. Ces raisons plastiques et thématiques enfoncent le clou : Avalon est l'apogée de son auteur. En plus d'être un miracle.
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