Le film a fait partie de la Sélection ACID Cannes 2020.
C’est en filmant un de ses précédents documentaires que la réalisatrice a fait la connaissance de Nicolas, protagoniste de Loin de vous j’ai grandi. Elle avait en effet filmé sa mère, Sabrina, et sa tante, Belinda, qui vivaient toutes deux en foyer. Elle a à nouveau rencontré Sabrina quand elle avait seize ans et qu’elle était devenue mère. Si elle a tenté au début de garder son fils avec elle coûte que coûte, elle a fini par le placer en foyer pour qu’il ait une chance de s’en sortir. Marie Dumora, qui n’a jamais perdu le contact avec Sabrina au cours des années, a décidé de faire un film sur Nicolas après l’avoir raccompagné un soir à son arrêt de bus : « Il s’est mis à pleuvoir, il avait retrouvé un copain sur un pont, entouré d’herbes folles, et les deux petits gars, leurs anoraks un peu courts aux manches, attendaient au milieu de nulle part. Dans la voiture, Billy Jean est passé à la radio, et tout le monde s’est mis à danser au bord de la route, sur ce pont au bout du monde, et puis, je les ai vus s’éloigner dans ce grand bus blanc. »
Le foyer se situe à Schirmeck, dans la vallée de la Bruche, aux confins des Vosges. Un territoire qui avait été annexé par le Reich, qui y avait établi un camp de concentration ainsi qu’un camp de déportation. Un lieu accessible par la gare de Rothau, via la même voie de chemin de fer qu’empruntaient les déportés, nommée aujourd’hui « Chemin du souvenir ». Un territoire riche d’histoires, comme le souligne la réalisatrice : « Nicolas était donc placé là, à côté du camp où ses arrière-grands-parents s’étaient rencontrés et aimés alors qu’ils avaient dix ans, avant d’avoir huit enfants. Nicolas s’inscrit dans cette lignée. »
Le film s’ouvre avec en exergue une phrase de L’Odyssée d’Homère qui parle des Lotophages, un peuple qui consomme une plante dont la propriété est de faire oublier à ceux qui en mangent qui ils sont et d'où ils viennent. « C’est une épreuve en somme, pour éprouver, se rappeler d’où l’on vient, et seulement alors pouvoir retrouver sa route ou y renoncer », explique la réalisatrice.
La réalisatrice s’est confrontée au silence de son personnage principal : « Nicolas était plus dans l’observation et l’imaginaire que dans la séduction ou les mots d’esprit. À moi de me débrouiller avec ça. Cela m’a plu. Je trouvais que c’était aussi cette gageure–là, le film : accueillir cette réserve. »
Marie Dumora ne change jamais de focale et ne filme qu’en 50 mm, qui restitue le plus fidèlement ce que perçoit l’œil humain : « Si je fais un gros plan, je m’avance et inversement. À chaque début de tournage, je montre dans l’œilleton ce que ça donne, de sorte que personne n’est pris par surprise et surtout a bien conscience de l’espace, du point de vue, et que nous sommes bien là pour faire un film. »
Au fil de ses films, Marie Dumora dépeint la communauté yéniche, mais sans que cela soit le thème central de son travail : « j’ai mis trois films à comprendre qu’ils étaient yéniches et ne savais pas qui étaient les Yéniches. Ce qui m’y a amenée ce sont les deux sœurs, leur rapport à la fête foraine. Je ne me suis pas dit : je vais aller faire une photographie d’un monde dérobé à nos yeux. »