N’étant pas originaire de la Réunion, Emmanuel Parraud était conscient du risque d’ethnocentrisme : « Mais ma rencontre avec ce territoire et ces habitants m’a convaincu que cette fatalité ne devait pas conduire à se replier sur soi. J’ai eu terriblement envie d’aller à la rencontre des Réunionnais. De mieux les comprendre et de trouver le moyen de les représenter dans un film sans les trahir. »
Maudit! tend à montrer comment les vivants et les morts cohabitent dans la culture réunionnaise : « Un ancêtre mort est toujours présent à tes côtés, dans la plupart des maisons, il a au bout de la table une place qui lui est réservée. On sait qu’il est là et nous écoute. Lorsqu’on organise des cérémonies où on peut entrer en transe, on invoque les ancêtres et ils nous conseillent. Évidemment, cela relève du fantastique, mais un fantastique au présent et qui nous concerne. » Le fantastique n’est pas utilisé simplement comme un exercice de style mais permet au spectateur occidental d’accéder à une autre culture.
Emmanuel Parraud ne maîtrise pas le créole. Pour autant, il était impensable pour lui de ne pas tourner Maudit! dans cette langue : « Elle participe du fantastique par sa poésie, indissociable du jeu des acteurs et des paysages. » Il a ainsi fourni des dialogues écrits en français à des acteurs dont la langue maternelle est le créole, leur laissant la responsabilité de s’en emparer : « Le créole est une langue orale, l’individu fait ce qu’il veut avec les mots, il est seul responsable de leur articulation et peut même en inventer. Il n’y a pas de dictionnaire pour le castrer. Demander à un créolophone de s’exprimer en français c’est se couper d’un potentiel d’invention extraordinaire, couper les ailes de son modèle, au sens bressonnien. Le chosifier aussi, le coloniser. On a alors deux cultures qui se frottent l’une à l’autre, pour fabriquer quelque chose qui n’est pas du métissage mais une hybridation. »
Le réalisateur revient sur son choix de filmer au format 1/33 : « J’aime le 1/33 parce qu’on peut jouer la courbe, la sinuosité. Pour les films tordus, pour les gens tordus, c’est le format idoine pour composer un cadre, suivre leurs zigzags. Et c’est aussi évidemment un clin d’oeil aux films des années 70, de George A. Romero notamment. »