C’est l’histoire d’un éveil. L’histoire d’un employé de banque, Moran, qui se rend compte de l’absurdité de sa vie. Il décide de réagir. Il vole l’équivalent du salaire qu’il aurait perçu jusqu’à sa retraite afin de ne plus avoir à travailler. Il est prêt à faire de la prison pour cela : trois ans et demi derrière les barreaux. Mais il a besoin d’un complice. Il choisit donc l’un de ses collègues, Roman, qui n’est même pas un ami, et lui impose, plus qu’il ne lui propose, de partager avec lui son projet.
Premier intérêt du film : le dilemme dans lequel est brutalement plongé Roman. Va-t-il suivre Moran dans son obscur dessein ou bien le dénoncer ? Roman est un personnage très intéressant. Il subit la situation et suit les directives de Moran sans réellement adhérer à son projet. La monotonie du quotidien, dans le décor sans vie de la banque, il y nage sans s’être vraiment interrogé (en tout cas c’est l’impression qu’il donne) sur le sens de ses actions. Il est plutôt du genre passif. D’ailleurs, les personnages avec qui il est en relation n’ont de cesse de lui dire : "Viens". Que ce soit pour lui proposer un pique-nique, pour faire l’amour ou simplement pour lui dire quelque chose. Lui s’exécute, docile. L’essentiel de la dramaturgie du film s’appuie sur le fait que Roman devient acteur de sa vie au fil du récit.
Deuxième intérêt du film : ses détours. Le chemin vers la liberté, pour Roman comme pour Moran, est long et sinueux. Leurs trajectoires sont parallèles tout en étant différentes. L’épilogue ouvert laisse d’ailleurs imaginer le chemin qu’ils suivront l’un et l’autre
- pas forcément celui qui était prévu au début
. Mais curieusement, ces trajectoires s’entrecroisent tout au long du film. Et pas seulement lors des scènes où l’écran est divisé (une fois n’est pas coutume, l’utilisation du "split-screen" n’est ici pas qu’un effet de style et apporte de vraies respirations poétiques). Une rivière, une femme, une pierre, une cigarette, un disque sont autant d’éléments qui relient les deux personnages. La femme, d’ailleurs, magnifique naïade aux cheveux de jais et au sourire lumineux, est-ce la liberté qui leur tend ses bras charmants ? Les multiples bifurcations du récit emmènent parfois Roman et Moran sur les hauteurs des reliefs argentins. Est-ce pour s’extraire de ce quotidien trop réglé, trop figé, qu’ils éprouvent ainsi le besoin de se hisser sur les sommets, occasions d’admirer l’étendue de la nature qui s’offre ainsi à leurs yeux dorénavant grands ouverts ? Le film est comme cela parsemé de moments de volupté.
"Los delicuentes" est donc une méditation. Un film long (trois heures qui filent vite) sur le temps qui passe, sur le temps qu’il reste et sur ce qu’on en fait. Un film qui s’attache à emprunter les chemins de traverse – est-ce un thriller ? une romance ? une comédie ? – et nous y embarquer. Enfin, l’ensemble ne serait peut-être pas aussi réussi s’il n’y avait cette pointe d’humour, jouant aussi bien avec les mots qu’avec les acteurs (anagrammes pour le nom des personnages, rôles peut-être pas si différents interprétés par les mêmes comédiens…). La poésie de ce film, qui se découvre au fil de l’eau, se situe aussi bien dans les réflexions qu’il suscite que dans son humour aussi discret que savoureux.