La belle utopie
L’Argentine nous propose encore une des pépites dont elle a le secret. – Le tournage a eu lieu avant l’arrivée de Milei et sa tronçonneuse au pouvoir -. Rodrigo Moreno avait réalisé en 2001 un film à sketchs très remarqué, Sale époque… et depuis, il s’est consacré à l’enseignement du 7ème Art et à l’écriture de scénarii pour la télévision. Retour au grand écran avec ce thriller. Román et Morán, deux modestes employés de banque de Buenos Aires, sont piégés par la routine. Morán met en œuvre un projet fou : voler au coffre une somme équivalente à leurs vies de salaires. Désormais délinquants, leurs destins sont liés. Au gré de leur cavale et des rencontres, chacun à sa manière emprunte une voie nouvelle vers la liberté. Inventif, facétieux et d’une grande liberté, des qualités indéniables font que les 190 minutes passeraient même très vite si les deux récits entremêlés ne subissaient pas de gros passages à vide durant lesquels, le cinéaste se fait plaisir, mais le spectateur pas tellement. Impression très mitigée.
Il semble qu’il ne soit pas de bon ton d’oser la moindre critique vis-à-vis de cette longue – trop longue -, comédie dramatique. Le scénario glisse insensiblement du film de braquage – sans armes ni violence -, à un film contemplatif, philosophique, voire de poésie bucolique. L’admiration sans bornes portée par le réalisateur pour le cinéma de « la Nouvelle Vague » est palpable et les citations vont bon train. A ce sujet, les séquences interminables où un cinéaste – Moreno lui-même peut-être -, tente de filmer le vide, sont franchement inutiles et surtout nombrilistes. Les acteurs et les actrices jouent de manière un peu décalée pour renforcer l’impression de raconter une fable, nous dit-on dans le dossier de presse. Là encore, l’allusion à Godard, Rohmer, Eustache, Truffaut, Garrel, Rozier, Rivette et consort, est criante. Est-ce pour autant supportable en 2024 ? Là est la question. La thématique profonde se résume au dilemme vie professionnelle versus loisirs, dépendance versus liberté, routine versus aventure. Mais permettez-moi de vous citer in extenso une partie de la critique dithyrambique des Cahiers du Cinéma : Par les jeux d’échos et de circularité qu’il met en œuvre, Rodrigo Moreno exprime une difficulté collective à s’extraire d’un système économico-politique qui, non content de structurer tout ce qui nous entoure, façonne nos psychés, et nous pousse à refaire sans cesse les mêmes erreurs. C’est-y pas beau ? Qu’est ce que vous voulez que j’écrive après ça, sinon que je ne suis pas d’accord ;
Daniel Elias, Esteban Bigliardi, Margarita Molfino, German de Silva, Laura Paredes, Cécilia Rainéro, jouent – ou pas – les dialogues parfois vains de ce film étrange qui commence comme un Sydney Lumet grande époque pour glisser vers un Rozier narcissique des années 60 à 80. Gagne-t-on au change ? Le suspense tourne court pour être supplanté par du romantisme bricolé. On tente de nous faire partager une utopie hédoniste – pléonasme -, mais je ne suis pas si sûr que l’ambition soit réalisée. Un film à l’image de sa bande-son, où se mêlent le rock, Poulenc, - sonate pour hautbois et piano -, Saint-Saëns, etc… Un peu de tout loin de toute contrainte, même pas celle du temps qui s’étire jusqu’aux limites de la complaisance, sans parler du générique final digne des blockbusters hollywoodiens, dont on ne voit jamais la fin…