Cela fait maintenant plus de six ans que le studio Ghibli nous a laissé sur une note mélancolique et nostalgique des « Souvenirs de Marnie ». Inutile de dire que cette soudaine irruption, toute en image de synthèse et tranchant ainsi avec les valeurs et l’identité même de la firme, rendrait impatient chaque esprit ayant grandi avec elle. C’est donc avec un téléfilm que Goro Miyazaki (Les Contes de Terremer, La Colline aux Coquelicots) renoue un public attentif. Et comme son père Hayao, il trouve de l’inspiration dans les écrits de Diana Wynne Jones. Mais exit la jalousie d’une sorcière en manque d’amour et place à une jeune enfant, toute aussi admirable et intelligente que les précédentes héroïnes du studio. Cependant, l’adaptation de Earwig and the Witch aura de quoi rappeler les aventures de la célèbre petite sorcière Kiki. Et quand bien même le film ne souffrirait pas assez de cette comparaison, réussir là où l’âme de Ghibli fait un grand virage ne garantit pas encore une autonomie dans la cour des grands classiques.
Commençons par vider nos poches de ce fameux changement. Il n’y a pas de quoi irriter nos rétines, loin de là. En revanche, nous ressentons que la fluidité n’y est pas tout le temps, mais qui devra s’affiner avec le temps. De même, un aspect plastique ressort de certains personnages, mais peut-être ne sommes-nous simplement pas habitués à cela, car les décors restent de qualité. Bien entendu, les réflexions techniques seront les premières qui viendront chatouiller ce nouveau-né et pourtant, on peut tout de même ressentir un fragment d’âme des Ghibli que nous chérissons. La mignonne et énergétique Aya y est bien pour quelque chose. Il nous est déjà permis de l’interpréter rien qu’en la regardant, sournoise comme elle est. Sa coiffe, rappelant les cornes d’une diablesse, consolide cette observation et laisse présager le meilleur pour son évolution, lorsqu’elle prend enfin son envol dans un nouveau foyer d’accueil. Toutefois, son caractère irréprochable lui fait défaut, dès lors qu’elle manque de réaction face à l’inconnu. Lui ôter toutes fragilités la placerait donc simplement sur la pyramide de l’innocence, mais ce sera mal jugé un personnage aussi joyeux et dont les ambitions seront prises au premier degré.
En souhaitant prendre le contrôle de son entourage, elle cherche finalement à prendre sa vie en main, afin de palper cette liberté qu’elle scrute encore au loin, du haut de son donjon de solitude. Mais pour cette petite, rester seule n’a pas de sens, car elle ne cesse d’interagir avec la cruelle, mais non méchante, Bella Yaga, une sorcière qui répond implicitement aux tâches ménagères de la société. Ce sera bien évidemment dans sa cuisine préférée, qu’Aya trouvera de quoi jouer, mais les ustensiles comme les ingrédients sont rarement pensés, afin de pousser la dramaturgie vers une forme de mélancolie ou de nostalgie envers sa mère biologique. Ici, rien de plus qu’un divertissement qui s’assume et qui fera davantage rêver le jeune public, au lieu de fusionner cette qualité à une sensibilisation morale et écologique, ainsi présents dans de nombreuses œuvres précédentes. Mandrake, le démon de la maison offre alors toute sa plénitude en matière de rêverie, à commencer par cette délicieuse nourriture, cette fois britannique, qui captive nos papilles. Jusque-là, le studio n’a pas manqué l’occasion de nous faire saliver et c’est toujours une réussite. Il s’agit sans doute du personnage qui propose les meilleurs gags, à l’opposée d’une éducatrice un peu trop monotone, à fouetter ses préparations dans le même sens. Quant à Thomas, n’est pas Jiji qui veut, car sa présence ne donne lieu qu’à un totem à recycler en tant que familier universel de la sorcière. Cela démontre de nouveau qu’il reste bien des choses à conter et à étaler dans la folle d’une malicieuse Aya.
La sorcellerie ne nous est donc pas dévoilée avec autant de fantaisie qu’on l’aurait souhaité. Ce que l’héroïne possède, c’est un pouvoir de persuasion, basé sur la ruse et les manigances. Elle les place du côté de la bienveillance et s’en sert à merveille. Dommage qu’on ne puisse pas développer un peu plus sa face cachée, tout comme ce groupe de rock qui n’a de fonction qu’une décoration murale. Mais ce qui surprendra d’avantage, c’est que « Aya et la Sorcière » (Āya to majo) pétrifie un sentiment d’inachevé au haut de son heure et demie de visionnage, en restant modeste. Un troisième acte est manquant, donnant lieu à une frustration qui ne se dissipera pas, même si le générique nous offre quelques pistes. Mais il nous reste cette amertume à l’arrivée, qui jure avec ce qui aura été à la fois audacieux et généreux dans ce qu’il a proposé. Cela reste donc trop épisodique pour s’en satisfaire et cette magie que l’on vante ne franchit pas totalement le seuil de la porte.