Qui se sera intéressé à l'oeuvre de Brian De Palma, lui aura trouvé deux aspects majeurs.
Il y a le De Palma obsédé par l'ambiguité sexuelle, le double et le voyeurisme, et il y a le De Palma réalisateur de films de commande.
Le mérite du bonhomme tient au fait qu'il aura longtemps su concilier ses thématiques majeures avec les desideratas des studios. Ainsi, trouve-t-il toujours le moyen d'aborder la thématique du voyeurisme dans ses films jugés à tort comme ses moins personnels. Des séquences entières de Scarface, L'impasse, Les Incorruptibles ou encore Mission Impossible reposent sur une focalisation subjective et souvent sur plusieurs points de vue simultanés.
Après s'être fait remarqué par un Soeurs de sang portant déjà les germes de son cinéma futur et avoir subjugué les fantasticophiles avec Phantom of the paradise et Carrie par sa mise en scène stylisé, De Palma rend un premier hommage à sa grande idole Hitchcock, et son Vertigo, à travers Obsession, oeuvre dérangeante sur fond de complot et d'inceste.
En 1980, il livre sa version toute personnelle du chef d'oeuvre indétrônable qu'est Psychose, avec Dressed to kill (Pulsions).
Il ne l'a d'ailleurs jamais caché aux critiques, Pulsions est son hommage aux méfaits de Norman Bates.
Ainsi, la structure narrative adopte dans une première partie le point de vue d'une héroïne dont le sacrifice scénaristique en cours de métrage (à la manière de Marion Crane), servira de catalyseur et de point de départ à une nouvelle intrigue.
Kate Miller est une femme qui, à l'aube de la cinquantaine, doute sérieusement de son potentiel de séduction. Méprisée par un époux mou du slip, inquiète pour son geek de fils qui passe ses nuits à peaufiner sa dernière invention, elle confie ses doutes et ses névroses à son psychothérapeute compatissant. Lors d'une visite au musée, elle tombe sous le charme d'un inconnu et finit par passer une nuit d'amour chez le don Juan avant de quitter en douce son appartement. C'est dans l'ascenseur de l'immeuble qu'elle sera assassinée par une femme aux lunettes noires et aux coups de rasoir faciles. Seul témoin du meurtre, Liz Blake, une prostituée, sortant de l'un de ses "rendez-vous" et qui semble la seule à avoir vu la meurtrière. Laquelle mettra un point d'honneur à vouloir la tuer elle-aussi avant qu'elle n'en dise trop à la police.
Le parallèle avec Psychose est évident. Kate Miller est Marion Crane. Son meurtre dans l'ascenseur fait écho à celui mythique de la douche, quant à l'identité de l'assassin et son mobile...
Rien de bien neuf, pourrait-on dire. Et se serait se tromper, tant De Palma transcende comme à son habitude une intrigue des plus simplistes par une mise en scène audacieuse, multipliant les entrées dans le champ et les points de vue via des panoramiques aériens et des effets de split-screens (déjà expérimentés dans le formidable climax de Carrie) qui ne seront curieusement popularisés que vingt ans plus tard par le biais de la série 24.
Virtuose de la caméra, De Palma sème avec malice des éléments de réponse susceptibles d'aiguiller le spectateur ne serait-ce que sur l'identité de l'assassin (le personnage interrogeant son reflet dans le miroir dès qu'il est mis à l'épreuve et tenté par le sexe). Il s'appuie sur la technique de la multi-angularité pour souligner les différents enjeux d'une seule séquence (voir la scène où Nancy Allen découvre le corps d'Angie Dickinson dans l'ascenseur, puis la présence de l'assassin derrière la porte qui se referme).
Il ponctue par ailleurs son métrage de deux scènes magistrales.
La première est celle du jeu de séduction et de "drague-moi si tu peux" dans le musée, où il laisse transparaître sans une seule ligne de dialogue les doutes et les contradictions du personnage d'Angie Dickinson.
La seconde est cette course-poursuite amorcée par une course en taxi et se poursuivant dans le métro.
Il faut voir le personnage de Nancy Allen, fuyant à la fois l'assassin et une bande de petites frappes, attirer l'attention d'un agent de sécurité sur ses poursuivants. Par le bais d'un coup d'oeil à gauche et à droite de la rame arrêtée, alors que l'agent regarde à chaque fois dans la direction opposée, c'est d'abord l'assassin qui monte dans la rame en bout de quai puis le groupe de voyous de l'autre côté. Ni l'agent de sécurité, ni le personnage de Nancy Allen ne les a vu monter dans le train. Il n'y a que le spectateur qui en sait plus que les personnages.
Malin, De Palma appuie sa mise en scène par l'utilisation judicieuse des talents techniques du personnage de Keith Gordon. Ainsi, le spectateur épouse-t-il son point de vue "voyeuriste" sur plusieurs séquences dont la première est la conversation "en privé" de l'inspecteur de police et du thérapeute. Tout ce qu'ils se disent semblent nous être rapporté par le personnage de Gordon, qui écoute la conversation via un dispositif de preneur de sons. De simple témoin sur l'essentiel de ses scènes, celui-ci passe de manière surprenante à celui de Deus ex machina en surgissant là où on ne l'attendait pas pour sauver le personnage de Nancy Allen. Avant de réinvestir le simple rôle de témoin passif de l'action et donc, côtoyant au plus près le spectateur.
Et même si en bout de métrage la révélation de l'identité de l'assassin ne surprend personne, c'est encore sur une alternance de point de vue que De Palma apporte la réponse.
(Petit spoiler : Pulsions ne traite que de frustration sexuelle et d'antagonisme avec le refoulé. Le personnage de Liz (Nancy Allen) de par son gagne-pain et sa sexualité débridée apparaît ainsi comme le parfait contre-point de l'assassin et même de sa première victime. A peine regrettera-t-on la simplification du terme "transsexuel" et son amalgame avec celui de "schizophrène" dans une séquence explicative qui renvoie au final de Psychose).
Pulsions est en définitive un concentré du talent désormais révolu de De Palma pour mettre en forme et en images un récit ultra-référentiel et révérencieux au maître du genre. Transcendant de fort belle manière un scénario minimaliste par une mise en scène intelligente et perverse, autrement plus explicite et agréable que n'importe quelle ligne de dialogue trop explicative, De Palma n'avait en définitive pas de quoi rougir à la comparaison avec son idole. Pulsions est un autre de ces joyaux filmiques qui jalonnent la carrière de ce cinéaste, dont les derniers métrages hélas n'apportent plus rien, si ce n'est un poids mort au gigantesque et somptueux édifice que représente son oeuvre.