Pour son premier long-métrage, le réalisateur italien Giovanni Aloi a choisi de s'intéresser aux militaires de l’opération Sentinelle à Paris. Il explique pourquoi : "J’étais à Paris au moment des attentats en 2015. En deux jours, la ville a complètement changé. Je n’avais jamais perçu un tel silence dans la capitale, une telle terreur. Suite à la déclaration de l’état d’urgence, la présence des militaires en patrouille dans les rues, fusils mitrailleurs à la main, est devenue chose commune. Je les ai beaucoup observés à ne rien faire pendant des heures. Et cette inactivité m’a surpris. Avec ces militaires, j’étais face à un paradoxe : celles et ceux qui deviennent soldats ont choisi ce métier pour se rendre utiles à la société ; or, en tant que sentinelles, ils se retrouvent désœuvrés."
Après des études d’Histoire de l’art à Bologne et d’Arts plastiques à Paris VIII, Giovanni Aloi réalise plusieurs courts métrages dont A Passo d’uomo et E.T.E.R.N.I.T, sélectionné au Festival de Venise en 2015.
Le titre du film fait référence à Charlie Hebdo. Après l'attaque, Manuel Valls avait décrété que la France était entrée en guerre contre le terrorisme. Giovanni Aloi précise : "En tant que spectateurs, nous baignons tous les jours dans les images médiatiques de conflits armés. Mais c’est très difficile de se représenter ce que veut dire une guerre contre une menace invisible. Emmanuel Macron vient encore de déclarer que "nous étions en guerre" à propos de l’épidémie, de même Giuseppe Conte qui parle d’un "ennemi invisible". Il est devenu commun que les gouvernements entretiennent leur pouvoir par la peur et justifient ainsi la présence de l’armée dans les rues."
Anthony Bajon, nommé au César du meilleur espoir pour La Prière (2018) et Au nom de la terre (2019), joue le personnage principal. Giovanni Aloi raconte : "Il y a, dans son éducation, une défaillance familiale, un vide qu’il cherche à combler. Il est en quête de sens, il a besoin d’ordre, et cet ordre il va le chercher dans l’armée. Dans les rues de Paris, il découvre un univers hostile : il est confronté à une sociologie qui lui est étrangère et qui le regarde avec méfiance et mépris... Les soldats sont principalement issus des classes populaires, ils viennent des banlieues ou des campagnes, et beaucoup sont enfants d’immigrés. Arrivés à Paris, ils se retrouvent au cœur de la cassure de la société. C’est cette cassure qui est au centre de La Troisième guerre."
Giovanni Aloi et le scénariste Dominique Baumard ont rencontré plusieurs anciens militaires issus d’opérations Sentinelle en amont du tournage : "Nous nous sommes familiarisés avec leur langage, mais également avec la façon dont ils regardent la ville, à la recherche d’éventuels suspects. L’inactivité et le sentiment d’inutilité provoquent de nombreuses dépressions et beaucoup quittent l’armée. Sur le plateau, nous avions un conseiller militaire qui donnait aux acteurs des consignes précises quant aux gestes, aux mouvements, au maniement des armes, à la façon de regarder", se rappelle le metteur en scène.
Mis à part La Troisième guerre, Leïla Bekhti et Karim Leklou étaient au casting d'Un prophète (2009) et La Source des femmes (2011).
La Troisième guerre emprunte au film de guerre, mais également au thriller politique paranoïaque. Ainsi, Taxi Driver et Dillinger est mort font office de références pour Giovanni Aloi. Mais pas uniquement, comme l'explique le cinéaste : "L’observation de la ville à travers les yeux d’un personnage qui part à la dérive correspondait bien à une atmosphère post-attentat. Nous avons aussi revu Serpico... Mais je crois que l’inspiration principale est Le Désert des Tartares de Dino Buzzati : le soldat dans l’attente qui sombre dans la folie, les états d’âme liés à l’attente, l’importance de la fatigue au même titre que l’action."
A travers le filtre du personnage de Corvard, Giovanni Aloi a cherché à filmer Paris de telle sorte à ce que la ville apparaisse de manière menaçante. "Epouser sa méfiance grandissante, c’était l’occasion de filmer Paris de manière inédite. A travers le regard de Corvard, l’idée était d’amener le spectateur à modifier sa perception des lieux familiers tels qu’il les connait, que ce soit dans son quotidien ou dans son imaginaire. L’objectif est qu’au cours du film, vous vous surprenez à vous demander “y a-t-il un réel danger à Paris aujourd’hui ?” La Troisième guerre est un film sur la vision, sur l’observation. Au plus près de ces soldats, chaque coin de rue abrite un terroriste en puissance, chaque voiture est potentiellement piégée, chaque fenêtre cache un tireur isolé", raconte le metteur en scène.