Il a donc fallu que ce film sorte seulement quelques semaines après la mort de George Floyd et de l’embrasement qui s’en suivit – jusqu’à chez nous – du mouvement « Black Lives Matter »…
Ce n’était certes pas voulu, mais il n’empêche que le contexte est quand-même bien là.
Des fois, il y a des choses qu’on ne choisit pas…
Sortir ce « Tout simplement noir » en cet été 2020 c’est se retrouver dans les feux de l’actualité malgré soi. C’est prendre part à un débat déjà bien vif. Et le découvrir en tant que spectateur dans un tel jus est forcément un exercice délicat.
Moi-même – je le reconnais – je n’y suis pas allé l’esprit neutre.
La question « noire » étant vive dans mon esprit – comme beaucoup je pense à ce moment-là – une telle proposition de comédie sur ce type de communautarisme ne pouvait que m’attirer tout en suscitant chez moi la pire des craintes.
D’un côté j’avais besoin qu’on me décrispe un peu tout ça mais de l’autre je savais que la moindre fausse note risquait d’être fatale au film.
En d’autres mots, ce « Tout simplement noir » était une vraie marche en terrain miné.
Et pour le coup ça tombe bien parce que c’est justement ce à quoi nous invite ce film : à une marche.
Et c’est franchement la première bonne idée du film.
Tout part de l’envie de Jean-Pascal Zadi – qui se filme ici lui-même en situation – d’organiser une simple marche pour la cause noire.
Un acte d’apparence simple, clair et évident.
Et pourtant c’est de cette fausse simplicité là que ce film va bâtir tout son comique.
Qui est noir ? Qui ne l’est pas ? La cause des Antillais peut-elle être confondue avec celle des Africains ? Est-ce qu’on autorise les blancs à participer ? Est-ce qu’on ne pourrait pas élargir la cause à d’autres minorités pendant qu’on y est ?
Cette mosaïque de questions est d’autant plus propice à l’humour que le protagoniste principal est convaincu de la limpidité de sa démarche alors que chacune de ses interventions et de ses contacts ne fait que soulever davantage de problématiques et de contradictions.
Pour le coup je dois bien avouer que, sur le fond, ce film a su plutôt agréablement me surprendre.
Franchement ça m’a fait du bien de me retrouver face à un film – français qui plus est – qui sache poser des questions plutôt qu’asséner des réponses ; qui se contente de poser une situation (et d’en rire) plutôt que de déclamer un discours et d’imposer une morale.
Sur ce point-là – et sur le fond j’entends – ce « Tout simplement noir » est quand-même sacrément malin. Et le personnage qu’incarne Jean-Pascal Zadi est pour l’occasion particulièrement bien ficelé tant il sait à la fois incarner une forme d’autodérision, de contradiction, mais aussi de réalité de la situation noire.
Ce qui est dommage c’est que sur la forme, l’équilibre est malheureusement plus précaire.
Plus précaire d’abord à cause de son postulat de faux documentaire.
Dans ce film, chaque personnalité noire rencontrée par Jean-Pascal Zadi incarne son propre rôle. Cette démarche est certes loin d’être inintéressante car en opérant ainsi, Zadi parvient l’air de rien à dresser un certain portrait de ce qu’est la France noire du show biz d’aujourd’hui. L’occasion de voir qu’elle existe, qu’elle est diversifiée et qu’elle dit déjà beaucoup de choses de notre société.
Seulement voilà chacune de ces personnalités joue ici un rôle, avec ses propres saynètes qui s’inscrivent dans un propos. Et dans ce cadre-là l’appel au réel devient soudainement une faiblesse.
Faiblesse parce que chacun se livre à une autodérision bien gentillette qui présente très vite ses limites (…sauf pour Mathieu Kassovitz qui livre la meilleure scène du film.)
Faiblesse aussi parce que l’artificialité de la situation et du propos qui sont tenus n’en ressort que d’autant plus.
Faiblesse enfin parce que tout le monde n’est pas aussi doué pour jouer la comédie (Fary, par exemple, a quand-même beaucoup de retard à l’allumage. )
L’autre souci formel tiendrait ensuite à l’écriture.
L’ami Zadi, sachant qu’il marche sur des œufs, y va souvent mollo sur la moquerie. Ainsi prend-il souvent les bonnes directions mais sans forcément oser y aller plein pot. Plus d’une fois on le voit insister sur les incohérences des postures de chacun histoire qu’on soit bien sûr de tous les avoir vues, de même qu’il ne manquera jamais l’occasion de commenter chacune de ses scènes histoire de bien signifier le dilemme de chaque question.
Zadi ne veut surtout rien cautionner. Il veut juste poser des questions, des réalités, des contradictions et c’est vraiment tout à son honneur de vouloir le faire. Cependant à trop surligner ses intentions afin d’être certain d’être bien compris par tous, il rend sa démarche lourde, désamorçant parfois grandement certaines scènes qui avaient pourtant un vrai potentiel comique en termes d’humour absurde.
Et à vouloir systématiquement éviter l’humour corrosif et l’ambigüité, cette comédie se retrouve à devoir jouer toutes ses cartes sur l’humour bon-enfant ce qui n’est certes pas forcément désagréable mais qui n’en rend pas moins ce film beaucoup plus plat.
Et puis enfin, difficile de ne pas parler des limites formelles de ce film sans aborder sa plastique et sa rythmique assez quelconques, pour ne pas inconsistantes. Alors OK, j'entends bien que le principe du faux documentaire interdit beaucoup de choses en termes de mise en scène mais, dans les faits, j'ai surtout l'impression que c'est aussi et surtout un beau prétexte pour évacuer la question d'un revers de la main. L'image est franchement paresseuse et le tempo souvent discutable. Or dans le domaine du comique, le tempo c'est juste essentiel. Et même si certaines scènes parviennent à fonctionner justement parce que l'art du silence et de l'ellipse est mené avec une certaine maîtrise, malgré tout l'ensemble souffre cependant d'une vrai manque de dynamique globale, au point que ce « Tout simplement noir » apparaisse parfois comme un simple enchaînement de sketchs inégaux qui peinent à préserver une unité d'ensemble...
C’est ce qui explique qu’en tout est pour tout, j’ai quand même du mal à pleinement m’enthousiasmer pour ce film, quand bien même je le trouve malgré tout plutôt sympathique.
L’intention était bonne et la démarche maligne, mais l’audace a clairement manqué.
Jean-Pascal Zadi ne voulait choquer personne et c’est tout à son honneur.
Seulement, à vouloir préserver la paix dans les chaumières il a surtout assuré le calme plat sous les couettes.
Etonnamment j’aurais presque envie de comparer ce film aux « Misérables » de Ladj Ly, sortis huit mois plus tôt. Certes les genres abordés n’ont rien à voir, mais tous deux entendent aborder un sujet sensible en posant des réalités et beaucoup de questions sans pour autant apporter de réponses toutes faites. Mais là où « les Misérables » ont su devenir un grand film en sachant aller jusqu’au bout de leur démarche quitte à diviser, « Tout simplement noir » n’est pas parvenu à faire de même avec son humour. Et je trouve ça plutôt dommage.
A un moment donné, faire rire, ça implique de soulager une tension.
Et plus le film saura creuser une tension, plus le rire sera puissant.
La sagesse rime rarement avec la satire.
Et malheureusement, ce « Tout simplement noir » a été sûrement trop sage pour pleinement m’emballer.
Malgré tout, je pourrais aussi dire a contrario que c’est parfois pas après pas qu’avancent certains dans l’humour.
Et c’est même parfois par l’humour qu’on fait avancer certaines questions.
Parce que l’air de rien, à construire une comédie sans vraiment rien occulter et à poser certaines contradictions aux côtés de certaines réalités (savoir que ce film a été réalisé avant l’affaire George Floyd et l’affaire Cédric Chouviat fera méditer au regard de certaines scènes), « Tout simplement noir » présente tout de même ce mérite (pas si anodin que ça) d’offrir un regard singulier tout en sachant désamorcer pas mal de bombes.
En cela la démarche de Jean-Pascal Zady est loin d’être anodine et – à défaut d’être une vraie proposition de cinéma ou d’humour – elle est au moins une proposition de perspective.
Et rien qu’en ça, c’est déjà respectable.
Alors d’accord « Tout simplement noir » est peut-être un film désespérément trop sage…
…mais d’un autre côté, n’est-ce pas déjà faire preuve d’audace que de se décider à aller marcher dans un champ de mine ?