C’est vers l’âge de 20 ans que Xavier Giannoli, alors étudiant en Lettres, a découvert le roman d’Honoré de Balzac. Il envisageait déjà d'en faire une adaptation : « J’étais allé à la Sorbonne pour être dans le quartier des cinémas. Je ne savais pas encore comment mais je voulais consacrer ma vie au cinéma. Tout revenait au cinéma, d’une manière ou d’une autre… J’ai alors commencé à accumuler des notes, des références visuelles, des études de critiques marxistes ou au contraire d’esthètes réactionnaires, car les critiques de tous bords ont voulu récupérer Balzac. »
Xavier Giannoli ne voulait pas se contenter de transposer tel quel le roman de Balzac en film : « L’art se nourrit de ce qu’il brûle. Le cinéma est par nature la transfiguration d’une réalité ou d’un livre. Sinon à quoi bon ? » Après avoir exploré le livre et son histoire pendant des années, le réalisateur a ressenti le besoin de s’en libérer. Il a décidé de se concentrer sur la deuxième partie du roman, Un Grand homme de Province à Paris, et souligne la contribution de Jacques Fieschi au scénario : « Il m’a apporté une approche sensible des personnages, m’a aidé à humaniser leurs relations quand Balzac me paraissait trop moqueur et punitif. »
Xavier Giannoli a décidé de ne pas faire apparaître le personnage intègre de Daniel d’Arthez : « Dans le roman, Rubempré est un moment tiraillé entre Lousteau et d’Arthez, entre le vice et la vertu, mais je trouvais cette distribution dramatique trop facile dans un film, trop didactique. Et puis filmer la simple vertu m’ennuyait... » L’esprit de d’Arthez circule cependant à travers d’autres personnages, qui tentent de mettre en garde Rubempré des dangers qui l’entourent.
C’est par le biais de la musique que le réalisateur s’est replongé dans le livre : « C’est en écoutant beaucoup de musique que j’ai senti le roman devenir du cinéma. C’est la musique qui m’a ramené à ce qui se cherche au-delà des mots dans le travail du cinéma, surtout quand il s’agit d’une adaptation littéraire. » Il détaille ce processus : « J’écoutais aussi et surtout le concerto pour 4 pianos et orchestre de Bach, son incroyable architecture « choral » où les thèmes semblent dialoguer d’un piano à l’autre. Je pensais à tous ces personnages, à l’harmonie qu’il fallait trouver dans l’adaptation pour nouer toutes ces lignes de vie, toutes ces voix, tous ces tons, le tragique et le comique. C’est ainsi que le « mouvement » s’est imposé, la sensation très physique du mouvement, qu’il soit musical ou simplement celui des corps dans les salons, dans les différents quartiers de Paris mais aussi le grand mouvement d’une civilisation en pleine mutation. Il fallait exprimer cette vitesse et ce mouvement, en faire un enjeu de mise en scène. »
Xavier Giannoli s’est battu pour tourner à Paris et tenait à filmer autant que possible dans des décors « réels » : « Le projet, c’était aussi de rendre hommage à « la splendeur française », son esprit, sa langue, comme ses étoffes et ses espaces. Tout cela est la même expression d’une civilisation magnifique, faut-il le rappeler ? » Il a tourné avec des objectifs très particuliers qui déforment discrètement les perspectives, assombrissent parfois les bords de l’écran. Cela lui a permis d’ajouter à sa vision réaliste un décalage, une vision poétique, presque fantastique, renvoyant au regard de Lucien qui découvre l’envers du décor.
Le choix de Benjamin Voisin pour incarner le protagoniste principal d’Illusions perdues a été une évidence pour Xavier Giannoli : « Il avait une innocence sans mièvrerie, une sensualité sans vulgarité, une diction d’époque sans effort. Une évidence de cinéma où le moindre geste à une grâce sans calcul. Il était Rubempré, un Rubempré moderne. Tout s’incarnait... Il suffit de voir son assurance face à Depardieu. C’est le même métal. C’est animal. »
Le personnage de Nathan a été créé pour le film. Il condense trois personnages du roman : Raoul Nathan, journaliste intrigant ; Daniel d’Arthez, écrivain profond qui préfère à la compromission une vie difficile consacrée au travail ; Melchior de Canalis, poète mondain à succès, reçu dans les salons de l’aristocratie. Le réalisateur souhaitait pour ce rôle « un artiste, une icône. Un musicien, un écrivain… ou pourquoi pas un cinéaste. » C’est Xavier Dolan qui a été choisi : « Il a une énergie très pure et une intelligence hors du commun. Il a été enthousiaste en lisant le scénario, en a tout de suite compris les enjeux, à commencer par la place de l’artiste dans ce monde, la vanité et le goût de la beauté, malgré tout... Notre relation a été complice et concentrée, jusqu’à l’énorme travail de voix du narrateur qui éclaire le film de son ironie et de son humanité. »