La fin d’un monde
Et voilà enfin, l’Ours d’Or de la Berlinale 2022, avec ce drame de l’espagnole Carla Simón. 120 minutes foisonnantes, poignantes au sein des 3 générations de la famille Solé et de leurs pêchers. Depuis des générations, les Solé passent leurs étés à cueillir des pêches dans leur exploitation à Alcarràs, un petit village de Catalogne. Mais la récolte de cette année pourrait bien être la dernière car ils sont menacés d’expulsion. Le propriétaire du terrain a de nouveaux projets : couper les pêchers et installer des panneaux solaires. Confrontée à un avenir incertain, la grande famille, habituellement si unie, se déchire et risque de perdre tout ce qui faisait sa force... Voilà une jeune réalisatrice de 36 ans qui décroche une des plus belles récompenses du cinéma mondial et qui le mérite bien.
Avant toutes choses, une remarque liminaire qui vous fera dire que décidément votre Jipéhel préféré radote. Une fois de plus pourquoi les distributeurs français ont-ils cru bon de substituer au titre espagnol, Alcarraz, ce fadasse et abscons, Nos Soleils ? Mystère, mystère ! Cela dit, le film est en touts points, excellent. Le scénario est en grande partie autobiographique et notre réalisatrice a ressenti le besoin de montrer l’endroit où elle passait ses vacances, sa lumière, les arbres et les champs, les gens, leurs visages, la difficulté de leur travail, la chaleur écrasante de l’été... Une sorte de film choral, pour montrer ce que cela représente de faire partie d’une grande famille avec son chaos ambiant, les petits gestes qui en disent long, les émotions qui entraînent des réactions en chaîne... Les 3 générations réunies peuvent avoir des intérêts divergents, mais ils doivent trouver une façon de vivre ensemble. Bien sûr, la toile de fond de ce monde qui s’écroule reste un personnage à part entière, d’un un film d’action qui ne dit pas son nom. Il n’y a ni explosions, ni fusillades, ni poursuites, ni effets spéciaux, mais un tourbillon d’émotions qui ébranle les relations des membres de la famille. Un drame lumineux… solaire, vu à hauteur d’enfants, qui pourra paraître ennuyeux à certains qui oublieront sans doute combien l’appartenance à une famille est primordiale dans notre vie à tous, et aussi combien la lutte contre le productivisme est loin d’être achevée. Politique, engagé, et magnifiquement mis en scène, une merveille venue de Catalogne.
Quant au casting entièrement non professionnel, il est bluffant avec Jordi Pujol Dolcet, Anna Otín, Xenia Roset, Albert Bosch, Ainet Jounou, Josep Abad, Montse Oro, Joel Rovira, Carles Cabos, des agriculteurs qui travaillent la terre et qui comprennent ce que cela signifie de la perdre. Un film intimiste, sensible et tout en finesse. Cette chronique d’un crépuscule d'une certaine idée du monde agricole s’achève sur une série de plans déchirants à ne rater sous aucun prétexte.