Perro Bomba est né de deux motivations principales chez Juan Caceres. En premier lieu le désir de faire un film à petit budget, lui permettant de se passer des fonds publics de financement, difficiles à obtenir. En second lieu, le cinéaste voulait réaliser un film qui contribuerait au débat sur la situation des migrants au Chili. Il se rappelle :
"Le projet est né en 2016, grâce à l’impulsion d’un groupe de jeunes cinéastes mais aussi de plusieurs actrices et acteurs intéressés par les thématiques sociales. Perro Bomba a été soutenu par différents organismes, de l’Université du Chili à l’entreprise française Promenades Films, en passant par les sociétés chiliennes Infractor Films et Pejeperro Films. Dans le même temps, de nombreuses personnes et organisations ont été d’une aide évidente, sans jamais nous demander une contrepartie. Voici la genèse de Perro Bomba. C’est la combinaison d’une certaine forme de solidarité et d’une croyance en un cinéma qui ne serait pas uniquement un outil de divertissement ou de distraction mais plutôt un lieu de rencontre."
Perro Bomba est une expression locale et spécifique, qui ne fait pas automatiquement référence à un "chien explosif", sa traduction littérale. Juan Caceres a entendu cette formule lors d’un atelier de cinéma réalisé dans un centre de SENAME (une institution au Chili, entre la prison et l’orphelinat). Le metteur en scène explique :
"On utilisait le mot « perro » pour désigner un adolescent en état de soumission par rapport à ses camarades. Et donc ce « chien » venait à se transformer en « chien bombe » lorsqu’il était obligé de faire des choses risquées. Nous avons souhaité utiliser le titre comme une métaphore de la relation entre le gouvernement et les immigrés vivant au Chili. Ces derniers sont soumis, exploités, considérés comme la cause d’un grand nombre de problèmes (santé, éducation, transport, logement, emploi etc… ). Mais il faut tout de même savoir que ce sont quand même des problèmes qui sont antérieurs à l’arrivée des immigrés."
Perro Bomba est une plongée naturaliste dans le milieu des immigrés haïtiens de Santiago et dont certaines séquences, comme celle de la virée nocturne de certains protagonistes, font penser au documentaire. Juan Caceres précise : "Effectivement, le tournage a débuté comme un documentaire. Un jour, Steevens Benjamin, qui joue le rôle principal, m’a appelé et m’a fait savoir qu’il souhaitait se faire poser des extensions capillaires. Du coup, je lui ai demandé si nous pouvions le filmer et de là est née la première scène de Perro Bomba. Nous avons continué ainsi pendant quelques jours. Il était simplement question de documenter la vie de Steevens. On a filmé l’endroit où il vivait, là où il travaillait, les personnes qu’il fréquentait etc… Petit à petit, on a intégré quelques éléments fictionnels. À la base, nous n’avions pas de scénario rédigé puisque nous ne voulions pas projeter nos visions d’auteurs sur la réalité."
En 2016, Steevens Benjamin travaillait dans une usine à béton et suivait des cours du soir. A côté de cela, le jeune homme faisait également de la figuration dans des publicités. Un jour, il a reçu un appel d’Alejandro Ugarte, l’un des producteurs de Perro Bomba, qui souhaitait savoir s'il voulait participer au casting. Le comédien se rappelle : "J’étais à un moment de ma vie où je me rendais souvent à des auditions, sans que cela n’aboutisse à quelque chose d’intéressant. Du coup, j’ai donc été au casting de Perro Bomba. J’ai rencontré Juan Cáceres, qui m’a présenté le film. Par la suite, j’ai rencontré le reste de l’équipe et j’ai eu la bonne surprise de constater qu’il s’agissait de personnes jeunes qui avaient de grandes ambitions, comme moi."
Malgré la gravité du sujet de Perro Bomba, le film possède quelques moments plus légers, à l’image des différents passages chantés qui font penser à des comédies musicales. Juan Caceres raconte au sujet des références qu'il avait en tête au moment de l'écriture et du tournage du long métrage :
"C’était une idée d’Andrea Chignoli, qui a travaillé sur le montage du film aux côtés de Diego Figueroa. On a notamment évoqué le film Head On de Fatih Akin, ainsi que la fonction du chœur antique dans les tragédies grecques. Andrea a été attirée par ce mélange entre la fiction et le documentaire, qui arrivait à maintenir le spectateur dans une certaine ambiguïté. Finalement, le but de ces différents passages est d’empêcher le spectateur de trop « rentrer » dans la fiction. Il va s’agir de maintenir une tension, rappeler au public que ce qu’il voit provient de la réalité. Même si, effectivement, Perro Bomba n’est pas un documentaire."
"Avec Perro Bomba, nous n’avons pas travaillé sur des compositions de personnages. En d’autres termes, Steevens c’est moi. À l’origine, nous n’avions pas de scénario sur lequel aurait été écrit, par exemple : « Steevens vient de Haïti, il a tel âge, vit dans telle maison, est comme ci ou comme ça ». Ce n’était pas un personnage mais moi qui vis dans un quartier de Estacion Central, m’amusant avec mes amis et entouré de populations modestes qui triment quotidiennement. Mais, même si ce personnage avait une résonnance autobiographique, je me suis rendu compte que je représentais également un grand nombre d’immigrés haïtiens qui vivaient là et qui font des efforts pour s’en sortir."
Le long métrage est également révélateur des crises que traversent un grand nombre de pays actuellement, notamment par rapport à la question de la peur de l’étranger, qui donne lieu à un regain du nationalisme. En ce sens, Perro Bomba est aussi un film politique, comme l'explique Juan Caceres :
"L’expression "Tout est politique" s’est beaucoup répétée dans les cercles intellectuels. Mais depuis le 18 octobre 2019, c’est une formule qui s’est élargie au Chili dans sa globalité. Dans Perro Bomba, tout est effectivement politique. Cela va de l’ensemble de l’équipe de tournage (des jeunes surtout, issus des classes ouvrières) jusqu’à la ville de Los Nogales où nous avons tourné, en passant par notre acteur principal, Steevens Benjamin. Perro Bomba est le tout premier film dans l’histoire du cinéma chilien où le protagoniste est interprété par un comédien noir. Cela peut donc passer pour un message politique, tout comme la manière dont le projet a été monté, grâce au crowdfunding, qui est un système de financement participatif. Néanmoins, c’est un long-métrage qui est différent des films dits « politiques » que l’on faisait il y a encore quelques années."