Si Undine se vit telle une expérience sensorielle particulièrement réussie, on ne saurait le considérer hors de son aspect géographique puisqu’il n’y est question que d’espaces détruits et reconstruits dans le souvenir de l’ancien temps, de trains rouges filant à travers le grand Berlin comme la main de l’héroïne parcourt les dédales de rues gravitant autour d’un seul centre, point névralgique du forum de la ville tout autant que du long métrage. Mais qu’y-a-t-il donc au cœur d’Undine ? Rien n’est moins sûr. De l’eau sans doute, un engloutissement, une métamorphose. Son cœur est un marais, le carrefour où se mêlent le terrestre et le liquide. Frappé par l’amour, noyé par lui. Des petits poissons rouges au silure de deux mètres, de l’aquarium au lac, du bonhomme au scaphandrier. Le long métrage évolue par une série de transformations et de transfigurations, accélérant le décor capté depuis la vitre du train, un décor flou qui permet les transitions, articule les temporalités comme la contemplation d’un point de la maquette donne accès à une réalité – celle qu’Undine vient de quitter, quelques instants auparavant –, soit la terrasse, ses cafés, ses verres d’eau jamais bus, ses rencontres et séparations. Christian Petzold investit la légende par le prisme de l’intime, part des maquettes contemporaines en relief pour mieux descendre sous l’eau et regarder l’inscription ornée d’un cœur. Comme si l’histoire d’amour était déjà jouée et connue, comme si elle les contenait toutes. Le cinéaste allemand compose une œuvre lumineuse et mélancolique tout à la fois qui conserve en son sein un mystère fascinant que les déchirures ne sauraient élucider. Car Undine est un film sur la blessure amoureuse, symbolisée par les deux plaies reçues suite à l’effondrement de l’aquarium : une blessure physique et psychologique enfouie au plus profond de l’être et susceptible de resurgir à tout moment, qu’une noyade tente de guérir à la manière d’un second baptême. Ce regard lancé à rebours, non sans évoquer celui de Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut, jeté sur un passé qui ne passe pas et dont l’individu se fait le conservatoire – tout autant que les musées allemands abritent la mémoire des grands drames, une mémoire en relief que l’on continue de raconter et que l’on fait vivre en continuant d’y vivre, dans ce mensonge du faux perçu comme vrai – signe la fin d’une idylle, ou sa mise en péril. Aussi l’amour dépeint ici, s’il n’est pas strictement malheureux, est condamné à l’éphémère, à se déporter du réel vers l’irréel, à transgresser les lois de la nature pour investir la surnature et ainsi s’ériger en idéal dont la conquête seule est à la portée de l’homme. Finalement, toutes ces miniatures, ces cartes urbaines fonctionnent comme autant de déclinaisons d’un même lieu (le cœur) envisagé selon des échelles différentes, mais rassemblées sous un même discours que le guide débite « par cœur ». C’est dire que tous les chemins mènent au cœur, un cœur blessé et que les récits n’ont de cesse de chanter, gravé sur la pierre sous l’eau, mêlant la singularité des êtres à l’unicité de la trajectoire humaine. Et le film, pour cela, crée un personnage féminin à la croisée de l’intime et de la légende, une héroïne en jean et chemise de nuit qui devient à terme une nymphe que Christoph rejoint sous l’eau lors d’un mariage – ou d’un adieu ? – magnifique. Paula Beer illumine le long métrage, envoûte le spectateur du début à la fin, forme avec Franz Rogowski l’un des plus beaux couples du cinéma contemporain. Rien que ça. On dit : Undine.