Docteur ? est né lorsque Jim Birmant, ami et co-scénariste de Tristan Séguéla, venait de voir Night Call, une plongée percutante dans un Los Angeles nocturne réalisée par de Dan Gilroy et emmenée par un Jake Gyllenhaal méconnaissable. Il a alors demandé au réalisateur s'il était intéressé pour écrire un polar sur un médecin de nuit qui se fait remplacer par quelqu'un qui ne l'est pas du tout. Il se rappelle : "Tout de suite, l’idée de la substitution m’a plu, c’était en quelque sorte l’occasion de faire se rencontrer mon grand-père et mon ami, mais j’ai ajouté une condition : on oublie le polar et on écrit une comédie ! Tout de suite, j’ai senti l’énorme potentiel comique qu’il y aurait à mettre en situation ce faux médecin, attendu comme le messie par des familles en détresse. Qu’allait-il se passer ? Comment allait-il s’en sortir ? C’était de l’or, il suffisait de creuser…"
Serge Mamou Mani, le vrai médecin (Michel Blanc), est aussi aigri et désabusé que Malek, le livreur (Hakim Jemili), est généreux et optimiste… "Le premier est un homme à la dérive qui n’aime plus ni son métier, ni sa vie. Il enquille les consultations sans la moindre empathie pour ses patients. Il se laisse glisser dans la nuit et débarque chez des gens qui attendent son diagnostic alors que c’est lui qui aurait besoin d’aide. Mais ça n’a pas toujours été comme ça pour Serge, enfin j’ose croire… Et puis Serge est miné par un drame personnel qu’on perçoit à travers la relation qu’il entretient avec le personnage de Rose. Heureusement pour Serge, Malek, avec sa bonté et sa candeur, va croiser son chemin et le tirer de cette mauvaise passe", précise Tristan Séguéla.
Tristan Séguéla voulait que Malek soit livreur à vélo, une catégorie professionnelle que l'on voit de plus en plus circuler dans les rues. "Pour autant, je ne vois pas Malek comme le représentant de quoi que ce soit : avant tout c’est un personnage qui avance dans la vie, qui a des rêves et des projets pour l’avenir. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, être livreur n’est qu’une étape et il ne se plaint pas de sa condition. Il aurait pourtant des bonnes raisons de le faire, mais il préfère consacrer son énergie à autre chose, ce qui, d’ailleurs, ne manque pas d’étonner Serge, qui redoute de son côté l’uberisation de sa propre profession. Et quand la nuit s’achèvera, Malek pourra lui aussi s’estimer heureux d’avoir fait la rencontre de Serge, si bien que le film est sans cesse travaillé par l’idée d’une transmission à double sens", confie-t-il.
Malek est joué par Hakim Jemili, un humoriste qui s'est fait connaître grâce à ses nombreuses vidéos sur YouTube et ses spectacles. Docteur ? marque sa première apparition au cinéma. Il explique : "J’avais une énorme pression, il n’était pas question de décevoir Tristan et encore moins Michel Blanc : c’est un acteur hors pair, un des plus grands ! Cela m’impressionnait de me retrouver sur un plateau face à lui. J’ai bossé comme un malade : deux mois avant le tournage, je connaissais mon texte sur le bout des doigts. Et je connaissais aussi celui de mes partenaires. Michel, que j’avais rencontré qu’une fois avant le tournage, m’avait donné une technique pour être au point : il enregistre les répliques de ses partenaires sur un dictaphone et leur donne les siennes. Une super méthode."
Après Rattrapage en 2017, c’est la deuxième fois que Tristan Séguéla collabore avec le chef opérateur Frédéric Noirhomme. Ce dernier a choisi d’opter pour la caméra Sony Venice, qui venait d’arriver sur le marché et qui, contrairement à la caméra Alexa (qui est la plus utilisée sur les plateaux), a le mérite de restituer fidèlement les couleurs de la nuit. "L’utilisation de cette nouvelle caméra nous a permis de travailler à très grande ouverture, avec très peu de lumières additionnelles et une sensibilité très élevée. Nous voulions qu’il fasse chaud dans ce film malgré la froideur de cette nuit de Noël", précise le metteur en scène.
Avant de commencer le tournage de Docteur ?, Tristan Séguéla a beaucoup revu Broken Flowers de Jim Jarmusch. Un film de "visites" dont il s'est parfois inspiré pour le découpage. Le cinéaste poursuit au sujet des références : "Avec Frédéric Noirhomme, nous avons aussi visionné Burn After Reading, le seul film des frères Coen à être éclairé par Emmanuel Lubezki. J’ai évidemment pensé à un tas d’autres films – les duos comiques imaginés par Francis Veber, Les Ripoux, de Claude Zidi, ou plus récemment, les comédies de Nakache et Toledano qui dosent si bien comédie, émotion et observations sociales. À des films américains aussi, bien sûr - ceux de John Hughes et des frères Farelly. Mais je ne vois pas ces films comme des références plutôt comme des partenaires rêvés."
Cela fait depuis Grosse Fatigue (1994), avec Carole Bouquet, que Michel Blanc n'avait pas formé un couple de comédie. L'acteur explique : "Mais, déjà, c’était différent des couples masculins que j’avais pu former avec Bernard Giraudeau dans Viens chez moi, j’habite chez une copine, et avec Gérard Lanvin, dans Marche à l’ombre. Lorsque j’ai rencontré Tristan, je ne savais pas qui jouerait Malek. L’autre acteur pouvait être formidable et ne pas du tout fonctionner avec moi. J’ai donc préféré réserver ma réponse jusqu’à ce que Tristan Séguéla me montre le bout d’essai qu’il avait tourné avec Hakim Jemili. J’ai trouvé sa proposition très intéressante : Hakim a une vraie justesse, une vraie personnalité. Nous n’avons ni le même âge, ni la même diction, ni évidemment le même physique, nous ne dégageons pas la même chose. J’ai tout de suite su que le couple pouvait fonctionner."
En dehors des scènes que Michel Blanc et Hakim Jemili jouent vraiment ensemble, beaucoup d’autres sont un montage de leurs conversations au téléphone. Le premier revient sur cet exercice : "C’était difficile, un peu comme un exercice de saut à l’élastique… sans élastique. Il fallait avoir de l’imagination, de la concentration. Les répliques d’Hakim n’étaient pas pré enregistrées - je n’avais pas son jeu pour m’aider, c’était la scripte qui me donnait le texte, et pareil pour Hakim. C’était vraiment un exercice de style. Mais nous avions heureusement démarré le tournage avec des scènes où nous étions ensembles, nous avions pris le temps de nous sentir. Et puis il est parfois arrivé que l’un de nous reste sur le plateau pour donner la réplique à l’autre. Lorsque je vois le résultat, je me dis qu’on ne s’en est pas mal sortis."