Alberto Fasulo a voulu faire un film sur Menocchio pour la stature morale de cet homme ordinaire. Le metteur en scène confie : "J’ai toujours connu l’histoire de Menocchio. Depuis trente ans, dans ma région, le Frioul, un cercle culturel lui est dédié, des pièces de théâtre en font leur sujet et sont étudiées à l’école, d’autant plus qu’il vivait dans le village de Pedemontana tout près de chez moi. Mais quand j’ai commencé les recherches sur Menocchio, à travers les comptes rendus originaux de son procès j’ai commencé à faire un rêve qui est devenu récurrent. Après chaque rencontre en rêve, je me réveille avec le désir d’y revenir pour en apprendre davantage. La sensation de son regard reste forte. Ces yeux mystérieux, indéchiffrables, chaleureux, paternels, mais aussi sévères, enragés, je me rendais compte qu’ils étaient la source de mon obstination."
Alberto Fasulo n'a jamais été particulièrement intéressé par le genre historique. Pour ce film, le cinéaste a décidé de faire la photographie lui-même, en suivant ce mantra qui l’a accompagné pendant le tournage : "Ne craignez pas l’obscurité, cherchez la lumière mais traversez l’obscurité, l’obscurité dit autant que la lumière". Il n'avait par ailleurs pas de référence iconographique précise, sauf peut-être les peintures de Rembrandt. "Je n’avais jamais travaillé sur un film d’époque. Pour ce film, je me suis donc confronté pour la première fois au travail de reconstitutions avec l’ambition de capter dans les moindres recoins du présent la réalité du passé."
Alberto Fasulo a tourné dans des lieux très incarnés, comme le château Buonconsiglio de Trento, la région des Stavoli di Orias et sur les canaux de Portogruaro. Le réalisateur a visité de nombreux musées pour voir les œuvres des peintres de l’époque, et y a trouvé beaucoup d’inspiration pour les différentes étapes de fabrication de son film. Il se rappelle :
"Mon intention première était que le public rencontre Menocchio au sens le plus large du terme. Pour ce faire, j’ai essayé de faire revivre, ou du moins de me rapprocher du quotidien de l’époque. J’ai donc décidé de ne pas utiliser de lumières artificielles, de tourner avec des acteurs non-professionnels, de ne pas les laisser lire le scénario, de ne pas leur imposer de dialogues, mais plutôt de parler avec chaque personne pour faire ressortir son expérience, sa personnalité."
Alberto Fasulo a trouvé tous les acteurs du film dans les vallées où Menocchio a vraiment vécu. Un travail qui a duré deux ans avant le tournage. "Pour le casting je voulais découvrir la face cachée des acteurs, connaître la personne derrière le visage, la vie qu’ils ont vécu, le métier qu’ils exercent, leur formation, tout en me questionnant sur le genre de personnage qu’ils auraient pu devenir dans le film. Presque comme un travail d’anthropologue", précise le metteur en scène.
Menocchio n’est pas un film sur la liberté d’expression ; néanmoins, le destin de cet homme porte quelque chose de très actuel en cette période où seule la communication et les images comptent. Alberto Fasulo explique : "Je suis convaincu que la liberté d’expression et les autres droits universels peuvent être partagés par tous. Le trouble actuel où la rhétorique est l’une des armes permettant de tromper les gens et leurs jugements implique nécessairement qu’ils s’éloignent et perdent le contact les uns avec les autres. Ils deviennent des étrangers et l’on a toujours peur de l’étranger.Je ressens le besoin de repositionner au centre du discours le contact direct, non verbal et le lien entre les citoyens avec des cultures, des langues, des sons et des couleurs différentes. Au fond, le combat au cœur de l’histoire de Menocchio se joue dans ce triangle du pouvoir entre le système, l’individu et la communauté."