Un film qui commence par ce qu’il y a de plus beau au monde en même temps que de plus imprégné d’espoir, puisqu’il s’agit d’un accouchement, et qui s’achève dans la violence et l’enfermement, voilà ce que propose le nouveau long-métrage de Robert Guédiguian. Il y a beaucoup d’amertume, c’est sûr, dans ce que le cinéaste nous fait voir, mais il y a aussi comme une nostalgie, un regret d’un monde qui n’avait certes rien d’idyllique, mais qui laissait place à la générosité, au partage, à la fraternité, à la solidarité. Aujourd’hui, semble nous dire Guédiguian, tout s’est dégradé pour donner la part belle à l’égoïsme, au chacun pour soi. Même les plages musicales du film, même les splendides compositions de Ravel qui le ponctuent, ne peuvent pas y changer grand-chose.
Ce constat est d’autant plus affligeant qu’il est tempéré par quelques-uns des personnages. Mais ce sont ceux qui sont les plus âgés qui, précisément, sont capables de grands élans de générosité, voire de bonté. Les plus jeunes, eux, donnent le sentiment de ne plus pouvoir vivre autrement que dans l’endurcissement, comme s’ils n’avaient plus de cœur. Daniel (Gérard Meylan), qui sort de trente années de réclusion et qui revient à Marseille, tout heureux de voir Gloria, sa petite-fille, tout en retrouvant Sylvie (Ariane Ascaride), son ex-femme dont le nouveau compagnon se nomme Richard (Jean-Pierre Darroussin) : ces trois-là, malgré les duretés de la vie et les boulots mal payés, ont encore le cœur sur la main, en particulier dès qu’il s’agit de leurs proches.
Mais qu’en est-il de la génération suivante ? Le constat que fait Robert Guédiguian semble sans appel. A des degrés divers, tous sont contraints de se débrouiller comme ils peuvent dans une société de plus en plus divisée, uberisée, une société qui se moque de la solidarité, même lorsqu’il s’agit des membres d’une même famille. « On est des moins que rien ! », s’écrie Mathilda (Anaïs Demoustier), la mère de Gloria obligée de survivre grâce à un petit boulot précaire, et son cri résonne dans le vide. Les malheurs survenant en cascade, Nicolas (Robinson Stévenin), son mari, qui est devenu chauffeur uber dans l’espoir de mieux gagner sa vie, s’est fait agresser et se trouve dans l’incapacité de conduire.
Trouveront-ils un appui, voire un secours, du côté d’Aurore (Lola Naymark), la demi-sœur de Mathilda, et de Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet), son compagnon ? Mathilda a de bonnes raisons de l’espérer, mais, malheureusement, ces deux-là, et particulièrement Bruno, se moquent comme d’une guigne de toutes les formes de solidarité ou de compassion. Bruno, qui dirige un magasin d’articles d’occasion, ne songe qu’à profiter de l’argent des plus pauvres obligés de lui vendre à bas prix leurs maigres biens. Son incroyable cynisme, son mépris d’autrui et, en particulier, de ceux qu’il considère comme des « minables », n’ont pas de limite, pas même celle de ses ébats intimes avec Aurore dont il est capable de tirer profit, si c’est possible.
Heureusement, encore une fois, il reste les plus âgés, Richard et Sylvie, toujours prêts à rendre service. Et Daniel, le sortant de prison, qui réinvente le monde en composant des haïkus, Daniel qui est capable de tous les sacrifices si nécessaire… Grâce à ces trois-là, le film de Guédiguian n’est pas totalement désespéré.