"Je marche sur le toit de l'enfer,
Je regarde en bas pousser les fleurs"
Si ma mémoire est bonne, à quelques mots près ce haïku germe dans la tête de Marcel Ortega au bout d'une parenthèse de liberté, qu'il vit dignement devant nous. (avant de choisir le retour en réclusion, pour que cesse le cycle des vies sacrifiées dont il est le spectateur). C'est très beau. C'est une des destinées ordinaires que Guédiguian dessine pour nous, loin des grandes espérances. Un beau personnage donc, cet Ortega ! Même si Gérard Meylan qui l'incarne, malgré son aura indéniable, peine parfois à égrener avec naturel les haïkus qui lui viennent à l'esprit, même si les mots d'amour qu'il dit à sa petite fille semblent parfois comme récités au landau qu'il pousse devant lui sur les quais...
Dans la grande Marseille qui s'agite, la tribu de Jeannette peine pour ne pas sombrer, car tout fout le camp. Les humains cessent de se tenir les coudes : les anciens ne croient plus qu'on puisse encore être solidaire hors la famille, les jeunes s'ubèrisent, se précarisent ou s'accrochent au matériel, parfois frénétiquement cocaïnés, chacun pour soi. Quand ils se rêvent en "premiers de cordée" pleins aux as, à force de manquer d'empathie ils ne sont pas sympathiques, les jeunes : sinon l'amour, il leur manque au moins la tendresse, et l'espoir des lendemains qui chantent ! Le monde de Guédiguian est bien sombre et sa vision, me disait ma femme en sortant de la salle obscure, fait penser très fort à celle que développe Ken Loach dans son dernier opus. J'ai trouvé sa remarque très juste. L'accent est plus chantant et le ciel moins chargé chez Guédiguian, mais le propos est tout aussi alarmiste. Et utile, voire indispensable.
Malheureusement, à côté de moi dans la salle une femme avait amené avec elle une gamine de huit ou dix ans, assise sur un réhausseur. La pauvrette a été choquée par deux scènes, l'une plutôt crue et l'autre assez violente. Et moi aussi, de voir que des adultes soient assez stupides pour emmener des enfants voir des films qui ne sont pas faits pour eux... C'est pourquoi, au risque de passer pour un vieux réac, je regrette qu'un comité n'ait pas déconseillé cet excellent film aux moins de treize ans. C'est le seul petit bémol que je mets à mes quatre étoiles !