Naël Marandin a fait partie d’un collectif d’artistes, KompleXKapharnaüM. Dans le cadre d’un spectacle, il a filmé des éleveurs bovins en Bourgogne qui l'ont emmené au marché à bestiaux. Fasciné par cette immersion, le réalisateur a immédiatement voulu en faire un film : "Dans cette arène, éleveurs et acheteurs s’observent, luttent et manigancent pour tirer les cours à la hausse ou à la baisse. Les petits fermiers côtoient les patrons d’élevages industriels sous le regard des spéculateurs, des engraisseurs et des centrales d’achat de la grande distribution. Ça grouille. Ça crie. Ça vit. A l’extérieur, des dizaines de poids lourds et de bétaillères, véritables monstres d’aciers, emportent les animaux aux quatre coins de l’Europe. C’est un lieu extrêmement cinématographique."
Après cette première immersion, Naël Marandin a tissé des liens forts avec des éleveurs qui lui ont raconté leur vie et fait découvrir leur métier. Pour beaucoup d’entre eux, la situation est de plus en plus dure d'un point de vue financier. Durant ce travail d’enquête, le metteur en scène a été marqué par la place des femmes dans ce milieu : "L’élevage est un monde d’hommes. Les exploitations se transmettent de pères en fils. Le marché aux bestiaux est un lieu masculin. Je me souviens, la première fois que j’y suis allé. Au milieu des milliers de bêtes et des centaines d’hommes, il n’y avait que deux femmes, la secrétaire et la serveuse de la buvette. C’est là qu’est né le personnage de Constance."
Comme dans La Marcheuse, son premier et précédent long métrage qui racontait l’histoire d’une femme chinoise qui se prostitue à Belleville, Naël Marandin a toujours filmé des femmes qui se battent dans un monde d’hommes : "Constance a grandi dans cet univers, elle y évolue avec assurance. Elle n’a pas peur des bêtes qu’elle élève, elle ne craint pas leurs corps lourds et puissants. Pas plus qu’elle n’appréhende le regard des hommes au milieu desquels elle travaille. Elle sait prendre à la légère une remarque déplacée, elle sait rembarrer en blaguant quand il faut remettre de la distance sans vexer, elle sait aussi faire un sourire quand elle veut obtenir quelque chose. Elle pense que rien ne peut lui arriver. Jusqu’au jour où Sylvain refuse d’entendre son refus de coucher avec lui."
La thématique du monde agricole dans le cinéma français a donné lieu à plusieurs films de fiction ancrés dans une dure réalité. Parmi eux, nous pouvons mentionner les récents Au nom de la terre, Petit paysan et La Nuée.
Diane Rouxel avait déjà joué un personnage courageux évoluant dans un milieu masculin et viril, à savoir la Marine Nationale dans Volontaire. Naël Marandin raconte : "Mon film est l’histoire d’une fille qui encaisse en silence. Il lui fallait une sacrée force de caractère pour supporter tout ce qu’elle endure sans que son entourage s’en rende compte. J’ai toujours imaginé Constance comme une taiseuse. À ce titre, la musique joue un rôle primordial, parce que c’est elle qui nous donne accès à ce que ressent Constance. Elle dit ce que Constance n’exprime pas."
Pendant l’écriture du film, Naël Marandin a pris conscience que beaucoup de femmes autour de lui ont subi un rapport sexuel non désiré. Les abus dont elles avaient été victimes s’inscrivaient dans des rapports de pouvoir et de domination plus larges : "Ils étaient perpétrés par une personne ayant un ascendant sur elle : un parent, un professeur, un entraîneur, un ami plus âgé ou admiré. Ce n’est pas la force ou la contrainte qui avait rendu possible ces agissements, mais l’autorité créée par un statut social. C’est cette relation de domination que je voulais travailler. Sylvain est un homme puissant et charismatique. Il a quelque chose de magnétique et de séduisant. Constance a de l’admiration pour lui et elle a besoin de lui."
Pour préparer le film, Diane Rouxel et Finnegan Oldfield ont passé du temps chez un couple d’éleveurs pour apprendre le métier et se familiariser avec les bêtes. Le cinéaste précise : "Ils y ont pris goût. Après je pouvais les lâcher au milieu d’une stabulation sans problème. Dans la scène de rêve avec le taureau, Diane s’est retrouvée nez-à-nez, au sens propre du terme, avec un taureau qui pèse 1,4 tonnes !"
La Terre des hommes a été tourné dans le Brionnais au sud de la Bourgogne. Façonné par des siècles d’exploitation, mais protégé de l’intensification par son relief vallonné, cette petite région offre de beaux paysages : "La Terre des hommes est une fiction, mais je voulais l’inscrire dans le réel. C’est pour ça que nous avons tourné dans des fermes en activité, avec la complicité des éleveurs, en adaptant les scènes à la réalité de leur travail. D’ailleurs, le scénario avait été écrit pour le printemps mais les impératifs de production nous ont forcés à tourner à l’automne, et tout ce qui avait à voir avec la saisonnalité du travail a dû être adapté. Et bien sûr, nous avons tourné dans un marché aux bestiaux qui existe vraiment et qui est en activité, à Saint-Christophe-en-Brionnais."