« D’après une histoire vraie », est-il indiqué au commencement du film. Elle est d’autant plus vraie, en effet, cette histoire, que, lorsque le film s’achève, une autre indication affichée sur l’écran nous révèle que le réalisateur a entrepris de raconter l’histoire de sa propre famille, la sienne, celle de sa mère et de sa sœur et, surtout, celle de son père. Celui-ci, nommé Pierre Jarjeau dans le film, porte les traits de Guillaume Canet et la première scène nous le montre, le crâne très dégarni et les traits fatigués, l’air d’être au bout du rouleau, tandis qu’il titube en parcourant un sillon d’un champ labouré.
Que s’est-il passé pour que cet homme soit dans un tel état ? C’est ce que le réalisateur se propose aussitôt de relater. Bien des années plus tôt, au début des années 70, Pierre s’en revient à la ferme familiale après avoir séjourné aux Etats-Unis dans un ranch du Wyoming. Il est beau, entreprenant, il retrouve Claire (Veerle Baetens), sa fiancée, et ne tarde pas à acheter l’exploitation à Jacques (Rufus), son père. Ce dernier, homme intraitable qui n’a que le mot « travail » à la bouche, ne lui fait pas de cadeau. Pierre devra lui verser des mensualités durant de longues années. Mais qu’à cela ne tienne ! Pierre est vigoureux, il ne rechigne pas à la peine, il ne doute pas de sa réussite.
Le film nous transporte alors vingt années plus tard, vingt années dont on peut supposer qu’elles ont été heureuses. Pierre et Claire ont eu deux enfants : Thomas (Anthony Bajon), déjà assez grand pour donner un sérieux coup de main à son père tout en espérant devenir ingénieur agronome, et Emma (Yona Kervern). Malheureusement, les années du bonheur sont passées et commence le temps de l’épreuve. Pierre est incité à se moderniser, à s’agrandir toujours plus et les dettes commencent à s’accumuler de façon inquiétante. Claire, qui s’occupe de la comptabilité, s’alarme. Malgré cela, Pierre se laisse convaincre de faire bâtir un nouveau hangar pour y installer un élevage de poulets. Ce qui veut dire, concrètement, davantage de dettes et davantage de travail. Et pas question de demander du secours à son père ! Pierre est trop fier et son père trop inflexible.
C’est une véritable descente aux enfers qui commence alors. Des soucis sans fin, un travail exténuant, sans compter les produits dangereux qu’il faut manipuler, conduisent inévitablement à de sérieux ennuis de santé. Quand un incendie ravage un des hangars, cela ressemble à la fin d’un monde. Pierre ne s’en remettra pas. Il sombre irrépressiblement dans la neurasthénie, au point non seulement de se mettre en danger lui-même, mais d’être menaçant pour ses proches. C’est une famille entière qui croule sous le désastre. Impuissante, Claire, la mère, en est réduite à écrire ses angoisses sur un calendrier, comme si elle tenait le journal de la catastrophe. Quant à Thomas (joué par l’impressionnant jeune acteur dont on avait déjà apprécié le talent dans La Prière (2018) de Cédric Kahn), il se dépense sans compter pour tenter de sauver son propre père, avec l’énergie du désespoir.
On le sent de bout en bout, Edouard Bergeon a mis tout son être, toutes ses tripes pourrait-on dire, pour la réalisation de ce film. L’œuvre est poignante, elle rend hommage non seulement à sa propre famille, mais aux nombreux paysans qui, chaque année, poussés au désespoir, finissent par se suicider. Un texte affiché sur l’écran, à la fin du film, nous rappelle qu’en France, il y en a un, en moyenne, chaque jour. Bouleversant.