L'autre Rio est un long métrage d’observation qui nous plonge au cœur d’un squat à Rio de Janeiro, édifice abandonné où vivent 100 familles sans eau courante ni collecte de déchets, tandis qu’à deux pas de là, se déroulent les Jeux Olympiques au Stade Maracanã. Le film oscille entre le cinéma direct caméra à l’épaule dans le quotidien du squat et des entrevues frontales où les occupants – surtout des femmes – offrent une parole généreuse et intime qui ouvre une porte sur leur réalité méconnue. La réalisatrice Emilie B. Guérette explique :
"J’ai tenté de porter un regard sensible et humain sur une population extrêmement marginalisée, qui pourtant survit avec énormément de résilience, de courage et d’humour. Il s’agit d’un film engagé sans pourtant être pamphlétaire, qui pose des questions sur l’inégalité extrême des métropoles d’Amérique du Sud et la manière dont les Jeux Olympiques sont imposés, en particulier dans des sociétés inégalitaires comme le Brésil."
Rio de Janeiro est la ville d’adoption de Emilie B. Guérette : la cinéaste fait des allers-retours entre Montréal et le Brésil depuis 12 ans. Elle a été bouleversée de voir la brutalité et l’injustice criantes qui ont caractérisé la préparation de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques : 22 000 familles expropriées, « nettoyage » social pour préparer la venue des touristes, répression aux travailleurs informels, militarisation des favelas, corruption et détournement de fonds publics, etc. Elle précise :
"Depuis 2013, je m’implique à travers la vidéo dans la question du droit au logement au Brésil. L’Autre Rio est en quelque sorte l’aboutissement de plusieurs années de recherche et d’immersion dans divers squats et favelas menacés d’expropriation. Par amour pour Rio et ses habitants, j’ai eu envie de raconter une toute autre version de l’histoire des Jeux Olympiques , soit le quotidien de ceux qui ont été laissés pour compte."
Il va sans dire que de tourner dans une favela à Rio de Janeiro est une expérience assez difficile puisque le territoire est contrôlé par les trafiquants de drogue et que les confrontations armées avec la police ou les rivaux d’autres factions sont monnaie courante. Emilie B. Guérette se rappelle :
"À l’intérieur même du squat, il y avait un point de vente de drogue donc il s’agissait d’un lieu stratégique pour le trafic. Il a fallu que j’obtienne l’autorisation du chef de la favela pour pouvoir tourner, ce qui fut assez facile puisque j’ai été introduite par un occupant du squat que nous avons engagé comme assistant pour le tournage et qui en quelque sorte se responsabilisait pour notre présence. Notre seule contrainte était l’interdiction de filmer les trafiquants ou leurs clients et de toujours tourner la caméra dans la direction opposée."
"Les trafiquants en général voyaient d’un très bon œil notre documentaire, puisqu’ils comprenaient notre intention de donner une visibilité et une tribune à des personnes extrêmement marginalisées . Ceci dit, même si nous avions l’aval et la protection des trafiquants, nous avons eu peur à quelques reprises puisque trois fusillades ont éclaté à proximité du squat lors du tournage. En tant que réalisatrice, le contexte me stressait énormément car non seulement j’avais la responsabilité de la sécurité de mon équipe de tournage entre les mains, mais je sentais que j’avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête."