Portrait de la jeune fille en feu est présenté en compétition au Festival de Cannes 2019. Il s'agit de la première sélection en compétition officielle de la réalisatrice Céline Sciamma. La cinéaste avait présenté son premier long métrage, Naissance des pieuvres, à Un Certain Regard, et son 3ème film, Bande de filles, avait fait l'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs en 2014.
Quand Céline Sciamma s'est plongée dans son travail de recherche pour le film, elle en savait très peu sur la réalité des peintres femmes de cette époque. "Je connaissais les vedettes qui attestaient de leur existence : Elisabeth Vigée Le Brun, Artemisia Gentileschi, Angelica Kauffmann. La difficulté à collecter des informations et des archives n’a pas réussi à faire longtemps écran à l’existence d’une véritable ébullition artistique féminine dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les peintres étaient nombreuses et faisaient carrière à la faveur notamment de la mode du portrait."
Quand Céline Sciamma a rencontré le travail de ces peintres oubliées, elle a ressenti une grande excitation et une tristesse aussi. La tristesse de l’anonymat total de ces oeuvres condamnées au secret. "Pas uniquement dans le constat de leur invisibilisation par l’histoire de l’Art, mais aussi dans ses conséquences : quand je regarde ces images elles me troublent et m’émeuvent avant tout parce qu’ elles m’ ont manqué."
Selon Céline Sciamma, le film en costume semble se fabriquer plus qu’un autre, rameuter tout un monde, des moyens, des besoins, des experts, des angoisses de reconstitution. En réalité, la cinéaste confie que c’est le même processus de travail. "Une fois exclu l’anachronisme on compose avec la vérité historique des décors et des costumes comme on compose avec le réel dans un film contemporain. La question reste la même : quel imaginaire déploie-t-on en collaboration avec la vérité ? D’ailleurs paradoxalement c’est celui de mes films où nous sommes le moins intervenus sur le décor. Nous avons tourné dans un château qui n’avait pas été habité ou restauré et dont les boiseries, les couleurs, les parquets étaient restés figés dans le temps. C’était un point d’appui très fort et notre travail a donc été du côté de l’aménagement et de l’accessoirisation, du côté des matières, le bois, les étoffes."
Le chantier totalement inédit pour Céline Sciamma était la création de costumes. "Pouvoir intervenir avec ce niveau de précision c’est passionnant", déclare la cinéaste. "D’autant que j’avais envie d’un uniforme par personnage. C’est de la caractérisation sur mesure et on est plus que jamais face à la politique du costume. Le choix des coupes et des matière -leur poids notamment- engagent à la fois la sociologie du personnage, la vérité historique, le jeu des actrices physiquement contraintes. Je voulais absolument que Marianne ait des poches par exemple. Pour l’attitude, mais aussi parce que les poches féminines vont être sanctionnées à la fin du siècle et disparaître. J’aime l’idée de cette silhouette, si moderne, qui est réhabilitée, comme ranimée."
Le rôle d’Héloïse est pensé pour Adèle Haenel, qui avait déjà collaboré avec Céline Sciamma sur Naissance des pieuvres. Le personnage s’est écrit en s’appuyant sur toutes les qualités dont l'actrice a fait la solide démonstration ces dernières années. "Mais il s’est aussi écrit avec l’ambition d’une partition neuve pour Adèle. Des choses que l’on ne savait pas encore d’elle. Des choses que, pour certaines, j’ignorais moi-même, tout en y ayant rêvé. Le rôle est sentimental et intellectuel, et Adèle parce qu’elle travaille au vivant sans jamais cesser d’y réfléchir, a la puissance pour incarner les désirs et la pensée des désirs. Nous avons travaillé avec une très grande précision sur le plateau, notamment sur sa voix. La collaboration est au coeur du film, qui fait un sort au concept de « muse » pour chroniquer différemment le rapport de création entre celui qui regarde et celui qui est regardé."
Noémie Merlant, révélée notamment dans Le Ciel attendra, interprète la peintre Marianne. Céline Sciamma pensait à l’opportunité de fiction et de croyance que créerait pour le film la rencontre totale avec une comédienne, dans la dynamique amoureuse notamment. "J’avais à coeur de créer un duo, un couple de cinéma qui aurait sa part iconique donc sa part inédite. Le personnage de Marianne est de toutes les scènes et il fallait donc une comédienne très solide. Noémie Merlant est une interprète volontaire, courageuse, sentimentale. Un alliage de précision et de débordement qui a rendu passionnante l’invention du personnage qui s’est comme révélé dans le travail. Comme si cette Marianne existait vraiment quelque part. Et ça je le dois beaucoup à Noémie."
Marianne (Noémie Merlant) est une peintre fictive. Il y a d’abord eu le choix pour Céline Sciamma d’inventer une peintre plutôt que de choisir une grande figure inspiratrice. "Cela me semblait juste, par rapport aux carrières de ces femmes qui n’ont connu que du présent : en inventer une c’était penser à toutes. Notre consultante historique, une sociologue de l’art spécialiste des peintres de cette période, a par sa lecture aidé à la vraisemblance de Marianne comme peintre en 1770. Je voulais montrer le personnage au travail, avec ses couches. Et il a fallu inventer ses oeuvres. J’ai souhaité travailler avec une artiste plutôt qu’avec des copistes. J’avais envie qu’elle ait l’âge du personnage. Une peintre de 30 ans aujourd’hui. J’ai rencontré le travail d’Hélène Delmaire au gré de mes recherches sur les peintres femmes, qui incluaient le contemporain, sur Instagram notamment. Elle avait une formation classique de peinture à l’huile, plutôt rompue aux techniques du XIXe siècle."
Avec la chef-opératrice Claire Mathon, Céline Sciamma a réfléchi à la création des tableaux et celle de leur exécution dans le film. Comment les filmer et dans quelle temporalité. "Nous avons tourné différentes étapes de travail et uniquement en plans-séquences. Le choix d’absence d’ellipse est structurant. Nous avons choisi le temps réel des gestes du travail, son rythme plutôt que la synthèse permise par le montage."
À part deux moments musicaux qui interviennent dans le récit, le film n’a pas de musique. Céline Sciamma avait l'idée de faire le film sans musique dès l’écriture le projet. "Je le précise parce que c’est quelque chose qui a dû s’anticiper. Surtout dans le film d’amour, où l’émotion est souvent musicale. On doit y penser dans la rythmique des scènes et de leur enchainement. On ne peut pas compter sur du liant par exemple. Il n’y aura pas de mélodie de secours ou de renfort. On est face à des unités scéniques totales. Faire un film sans musique c’est être obsédé par le rythme, c’est le faire sonner ailleurs, dans les déplacements des corps et de la caméra. D’autant que le film est pour beaucoup fait de plans-séquences et donc dans la chorégraphie."