Il y a un mois sortait Camille de Boris Lojkine, qui évoquait la courte vie de photographe de guerre de Camille Lepage , tuée en 2014, à l’âge de 24 ans lors de la guerre civile en Centrafrique…Déjà l’héroïne et ses collègues photos reporters, se posaient la question sur l’éthique de leur profession, écartelés entre le devoir de réserve et la compassion envers les victimes d’un conflit, entre l’objectivité inhérente au devoir du reporter et la nécessité de prendre parti face aux horreurs dont sont victimes des populations civiles…. En plein siège de Sarajevo, en 1992, le grand reporter Paul Marchand, accompagné d'autres journalistes internationaux, réfugiés à l’Holiday Inn, en pleine ligne de front sur la fameuse snippers allée, tente de rendre compte de l'horreur dont il est témoin à travers ses reportages réguliers donnés aux radios francophones, françaises, canadiennes, suisses et belges…. Le conflit serbo-croate bat son plein, la ville est assiégée depuis un an…les civils sont les premières victimes et les Nations Unies, via leurs Casques bleus, restent impuissantes à arrêter le massacre. Adapté du livre éponyme écrit en 1997 par Paul Marchand, Sympathie pour le diable est le premier long métrage du réalisateur québécois Guillaume de Fontenay. Le cinéaste, qui avait connu Marchand dans les années 90, avait écrit une première ébauche de scénario en collaboration avec le reporter, qui s’est donné la mort en 2009. Remanié avec Jean Barbé et Guillaume Vigneault, il aura mis 14 ans à faire ce film mais le résultat est saisissant, sans voyeurisme ni misérabilisme, dès la première séquence on voit Paul et son photographe Vincent sur les lieux d’un carnage de civils effectué par l’armée serbe. On plonge dans les entrailles d’un conflit fratricide, au côté d’un Paul Marchand, conduisant à toute allure sa Ford Sierra immatriculée à Paris, courant d’un point à un autre, accompagné de sa « fixeuse » Boba, évitant les snippers, traversant les lignes serbes ou tchetniks pour mieux nous faire comprendre la complexité d’un conflit absurde. On sort groggy des 1h40 de projection, le film ne nous épargne rien, passant du cru au pudique, on se demande comment une telle horreur a-t-elle pu être possible alors que la communauté internationale savait et laissait faire… On aurait pu craindre qu'en tant que portrait de Paul Marchand, le film ne vire rapidement dans l'hagiographie, dans le respect de cette légende du reportage de guerre, de tous les conflits, gommant les angles un peu gênants pour en faire une figure héroïque bravant tous les interdits et s'en sortant toujours la tête haute. Or, heureusement, il n'en est rien. Paul Marchand y est décrit comme ambivalent, ambigu, complexe, coléreux, montrent un mépris souverain du danger, tout autant repoussé que fasciné par ce qu'il vit, voulant s'en écarter le plus vite possible, mais s'en servant comme carburant. Il faut saluer l'extraordinaire performance de Niels Schneider, habité par le rôle, totalement méconnaissable, qui tient son personnage et le film du début à la fin, entouré qui plus est par des acteurs exceptionnels et complétement investis dans le projet, Vincent Rottiers qui joue son fidèle photographe, et Ella Rumpf l’interprète « fixeuse » serbe avec laquelle Paul aura une brève liaison…. . C’est un film à la mise en scène nerveuse, tourné caméra à l’épaule, et qui provoque anxiété et tension… Il remet en mémoire le siège de Sarajevo , probablement un peu trop oublié et qui est pourtant le plus long de l’histoire de la guerre moderne. Il dura de 1992 à 1996, occasionnant la mort de douze-mille personnes et cinquante-mille blessés. 70 journalistes ou membres d’organisations humanitaires y perdront la vie…Pendant ce siège, dans cette cuvette encerclée par des positions serbes sur les collines, on a compté une moyenne de 330 obus par jour. Sympathie pour le démon, est un premier film remarquable, impressionnant d'authenticité, et dont on sort secoué.