Parmi mes coups de cœur de l’année 2019 il y a SIBEL (si vous ne l’avais pas vu il est la semaine prochaine dans la sélection du Festival Télérama !!) du couple franco-turc Guillaume Giovanetti et Çağla Zencirci, film qui conciliait les genres de la fable engagée, du documentaire, du récit psychologique et du conte poétique…… Un film qui nous emmenait, au nord-est de la Turquie, à Kusköy, qui signifie village des oiseaux et où les habitants parlent une langue sifflée le kusdili…Un langue loin d’être éteinte que les adultes maîtrisent parfaitement et qui est même enseignée à l’école aux jeunes générations…et la belle et rebelle Sibel, incarnée par la magnifique Damla Sonmez ,muette de naissance s’exprimait dans ce langage…Dans le monde, une soixantaine de régions connaissent le langage sifflé, au Béarn il est enseigné dans certaines écoles primaires et à l’université de Pau, sur l'île de la Gomera, l'enseignement du silbo est obligatoire à l'école primaire depuis 1999 et l'on a commencé de former des professeurs de sifflement … Le langage sifflé est essentiellement utilisé pour communiquer à plus grande distance que par la voix, soit parce que les distances à couvrir sont particulièrement grandes (en montagne), soit parce que l'environnement amortit trop les sons (forêt dense ou milieu bruyant). Il sert aussi à dissimuler la parole (aux oreilles du gibier, dans la forêt amazonienne) ou son sens (en présence de non siffleurs).
Dans son dernier film présenté à Cannes, Les siffleurs ou La Gomera, le Roumain Cornelu Poromboiu, nous compte l’histoire d’un policier roumain véreux , Cristi ( interprété par l’excellent Vlad Ivanov) qui est envoyé dans l’ile de la Gomera ( Canaries) par la mafia pour y apprendre le silbo, y tomber fou amoureux de la magnifique et vénéneuse Gilda ( interprétée par Catrinel Marlon à la sublime chute de reins aussi troublante que celle de la roumaine Madalina Ghenea dans Youth de Paolo Sorrentino), recueillir des informations pour faire délivrer un homme d’affaires louche emprisonné en Roumanie…et récupérer les millions d’euros cachés par ce dernier. Dans ce film , Corneliu Poromboiu détourne les codes du genre pour signer une réjouissante satire de film noir sur fond de corruption et de surveillance généralisée avec tous les archétypes du genre : trahison, mensonge, caïd à libérer, magot à récupérer, faux-semblants à tous les niveaux, gueules patibulaires et femme fatale…Alors que Ceaucescu est tombé depuis 1989, les méthodes de la Securitate semblent toujours d’actualité, il y a un côté « La vie des autres » de Florian Henckel van Donnersmarck dans ces scènes de surveillance du policier Cristi et il semble avoir des micros partout y compris dans les bureau de la chef de la police.. J’ai pris le film comme une farce qui navigue entre burlesque et série noire… Je n’ai pas cherché à comprendre grand-chose à ce scénario à tiroirs, totalement déstructuré… décalé en permanence entre flash-back et flashforwards… Le film nous fait voyager, en nous emmenant aux deux extrémités de l’Europe, Bucarest avec son urbanité agressive, et l’île presque inhabitée de Gomera, au milieu de l’Atlantique avec en apothéose finale l’exotisme d’un parc de Singapour…Que dire de la bande son ...elle est somptueuse avec ces extraits d’opéra interprétés par Carl Off, écoutés par le troublant concierge du motel ou cette interprétation sublime de la complainte de Mackie par Utte Lemper…J’ai bien aimé…