Bojina Panayotova est née en Bulgarie. A la chute du mur, elle suit sa famille qui émigre en France. Après des études de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure et de cinéma à La Fémis, elle repart en Bulgarie et se lance dans la fabrication de films « sauvages ». En 2014, elle rencontre le collectif de réalisateurs- producteurs STANK avec qui elle développe depuis ses projets. Elle collabore également avec le réalisateur Boris Lojkine, en tant que scénariste et scripte. Son premier long-métrage documentaire Je vois rouge est sélectionné à la Berlinale en 2018.
"Dès que le Mur est tombé, beaucoup de gens des pays de l’Est souhaitaient partir à l’Ouest et mon père qui était artiste voulait voir l’Occident. On est venus en France, j’avais 8 ans, et finalement, on est restés, ce qui n’était pas prévu. J’ai passé une bonne vingtaine d’années à faire tous mes efforts pour devenir française ! C’est beaucoup passé par l’école, le lycée... Une fois que c’était bon avec la France, j’ai eu envie de retourner là-bas, c’est un des désirs qui ont déclenché mon film."
Bojina Panayotova a un souvenir très précis et même très nostalgique de la Bulgarie, qui sont le point de départ principal de Je vois rouge. Là-bas, chaque enfant se préparait à entrer dans la Jeunesse Communiste et à se faire décerner le fameux foulard rouge des jeunes pionniers qui symbolisait l’intégration au collectif national. La réalisatrice raconte : "Je rêvais de ce foulard rouge, mais le Mur est tombé quelques mois avant la cérémonie... Enorme déception ! Ce manque est resté un fétiche un peu étrange, à 30 ans, j’y pensais encore, c’était ridicule. Le foulard pendait au-dessus de l’armoire familiale et j’avais envie de tirer dessus, quitte à faire tomber l’armoire..."
Avant le tournage de Je vois rouge, Bojina Panayotova a visionné pas mal de documentaires comme ceux de Joshua Oppenheimer sur l’Indonésie. La cinéaste a aussi observé le processus de réconciliation en Afrique du Sud, et assez vite, elle s'est rendue compte que cette ligne de séparation existait au sein de sa famille. "Je posais à mes parents des questions inconfortables, je m’identifiais aux protestataires bulgares", précise-t-elle.
D’où l’idée d’aller aux archives de la police secrète en Bulgarie pour ressortir le dossier de son grand-père, ce qu’on voit dans les premières séquences du film. "Je pensais que ma famille était ordinaire, sans histoire, mais en Bulgarie, j’entendais des remarques sur l’avant-89. Or, mes grands-parents ont beaucoup voyagé, on n’avait jamais parlé de la répression, il y avait des zones d’ombre. La question de la police secrète était omniprésente en Bulgarie, et j’ai commencé à douter : qui étaient mes grands-parents ? Et qui étaient mes parents ? Tout ça commençait à me dépasser", explique Bojina.
Côté B.O., Bojina Panayotova a travaillé avec un compositeur d’électro-acoustique, Emilian Gatsov. La réalisatrice se rappelle : "On a cherché une sonorité qui renvoie aux années 80 et qui joue le suspense de l’enquête. Par exemple, pour les scènes où on cherche « l’homme-mystère » avec ma mère, je voulais une musique de course-poursuite dans le style de celle de Drive, une musique qui justement souligne le genre et ses codes. Mais il fallait aussi donner une dimension comique au thriller. On a donc cherché des tonalités enfantines et une cadence qui soulignent l’aspect décalé, drolatique du film. On s’était formulé une phrase pour résumer l’ambiance : une trentenaire parisienne part chercher son foulard communiste et tombe nez à nez avec la police secrète... Oups !"
Je vois rouge est un documentaire qui glisse toujours vers la fiction, le thriller d’espionnage, avec un côté Tintin voire Pieds Nickelés selon Bojina Panayotova. Cette dernière confie : "De toute façon, dès qu’il y a une caméra qui tourne, on a beau être dans du documentaire, on joue un rôle, il y a du cinéma, de la fiction. Moi-même, implicitement, je me suis prise au jeu de l’espionnage, du détective, avec toute son intensité, son sérieux. Plus le matériau du film nous faisait peur, plus on transgressait l’ordre national et familial, plus on avait aussi envie d’être ludique, de se prendre pour des James Bond girls ! Je ressentais une forme d’empowerment, j’allais farfouiller dans les histoires graves des hommes, mais à ma sauce homemade, avec maman. Il y avait ce mélange de trivial et de grandes figures de la fiction : l’Espion, l’Enquêteur, le Collabo, l’Inquisiteur, l’Homme de l’ombre..."