Si Alex, le personnage principal de Roulez jeunesse, vit encore chez sa mère à 43 ans, Julien Guetta n'a pas pour autant cherché à en faire quelqu'un qui ne s’assume pas, à la manière d'un Tanguy. Le cinéaste, qui réalise pour l'occasion son premier long métrage, ne voulait pas inscrire son film dans la lignée des comédies sur les adulescents et s'est davantage inspiré de films comme Cinq Pièces faciles emmené par Jack Nicholson. Il raconte :
"Alex n’est pas un handicapé de service, il est indépendant, comme il le dit, il vit « à côté de chez sa mère, pas chez sa mère ». C’est un type qui roule toute la journée, seul, il ne se prend pas la tête avec les filles... Et c’est l’aventure qu’il va vivre en se retrouvant avec trois jeunes enfants qui va l’amener à changer. Doucement le film glisse vers quelque chose de plus dramatique. J’ai toujours en tête ce personnage que l’on retrouve souvent en littérature ou au cinéma : un mercenaire, un solitaire individualiste qui en se frottant à l’altérité va décider de servir la cause d’un autre, le secourir et devenir « chevalier »."
Comme avec Les Ventres vides et Lana Del Roy, les deux précédents courts métrages de Julien Guetta, Roulez jeunesse traite des liens familiaux, un sujet récurrent dans son parcours. "Comment se construire avec l’héritage familial ? Comment continuer à vivre quand il y a des absents ou au contraire quand il y a un membre qui prend trop de place ou toute l’attention ? Ce qui m’intéresse, ce sont les relations dans une famille déconstruite, reconstruite. Toutes ces questions liées à la filiation, à la transmission, aux fratries, me passionnent…", précise me metteur en scène.
Côté références, Julien Guetta avait en tête Ken Loach, notamment pour sa capacité de passer de la comédie au drame, mais aussi Martin Scorsese pour sa faculté à entraîner le spectateur vers quelque chose de flamboyant et Steven Spielberg pour la façon dont il dirige les enfants.
L’image de Roulez jeunesse est signée Benjamin Roux. Julien Guetta l'a rencontré à Émergence (une résidence de réalisation destinée aux projets de premiers longs métrages), où le réalisateur développait son scénario. "J’aimais l’idée que ce soit aussi un premier film pour lui. Thomas Krameyer, qui avait déjà signé la musique de mes courts, a également fait son baptême du long avec Roulez jeunesse. J’aimais l’idée que ce soit aussi une première fois pour eux", confie Guetta.
Au départ, Julien Guetta et ses producteurs étaient à la recherche d’un quarantenaire connu, mais ne sont pas parvenus à trouver la perle rare. Le metteur en scène croisa alors par hasard Éric Judor qui sortait d’une maison de production. Il a alors eu un flash et a aussitôt appelé les producteurs pour leur faire part de son idée. Il se rappelle :
"Je trouvais qu’il incarnait un homme moderne, avec une présence physique à l’américaine, avec de l’humour. Et le challenge pour moi était de l’emmener dans un genre qu’il n’avait jamais joué, plus dramatique. Tout de suite, c’est devenu pour moi une des ambitions du film : le montrer comme on ne l’avait encore jamais vu au cinéma. Et c’était précisément ce qui m’intéressait : réussir à emmener ce comédien qui véhicule une image très forte de comédie vers une note plus grave, inattendue, qui cueille le spectateur."
"Alex, c’est moi à 27 ans. J’avais le même rapport avec mes parents que celui qu’il a avec sa mère ; je travaillais juste assez pour pouvoir me payer des super vacances et le reste du temps, je vivais chez eux comme à l’hôtel. Je ne m’en faisais pas. Jusqu’à ce qu’un événement vienne changer net ma vision… Et c’est exactement ce qui se passe pour lui. Sa rencontre avec les enfants l’oblige à devenir responsable. Ils sont plus matures que lui : ça finit par le secouer, il comprend qu’il a un sacré retard à rattraper."
C’est la première fois qu'Eric Judor interprète un personnage que les événements affectent. Que ce soit dans ses films ou dans Platane, la série qu'il réalise sur Canal+, le comédien a toujours joué des personnages en dehors des choses. Il explique : "Avec Alex, c’était différent : je ne me suis jamais livré comme ça sur un plateau, je me suis complètement ouvert et, d’une certaine façon, c’était horrible. Pour la scène dramatique de fin avec les enfants, j’étais effondré. C’était un moment vraiment affreux, j’ai pleuré toute la journée et mis vingt-quatre heures à m’en remettre. Je ne sais pas comment font les autres acteurs. Moi, j’ai vraiment vécu le truc."
Julien Guetta a dû voir beaucoup d'enfants pendant la période de casting, avant d'en choisir trois. Il se souvient : "J’ai revu les trois enfants plusieurs fois avant de me décider et ces quelques séances nous ont permis de mieux nous connaître. Nous avons beaucoup répété ensemble. Parallèlement, ils travaillaient chacun de leur côté. C’était d’autant plus difficile pour le petit Ilan qui n’avait que six ans et ne savait pas encore lire : il a dû apprendre son texte par cœur. Dans un premier temps, nous nous sommes vus uniquement avec les enfants, nous avons répété à trois. Je leur ai expliqué ce qu’était un tournage, comment allait se dérouler les prises, etc. Éric est ensuite arrivé pour des répétitions tous ensemble. Il était important qu’ils se rencontrent et je tenais à ce que nous répétions la scène où il leur annonce la mort de leur mère."