Un thriller incroyable, véritable chef-d’œuvre du genre. Memento, deuxième long-métrage de Christopher Nolan après Following, raconte l'histoire de Leonard, ancien enquêteur atteint d'un trouble de la mémoire immédiate, qui fait qu'il ne se souvient de rien avant les quelques minutes précédentes, si ce ne sont les évènements précédents son accident, même agression qui a coûté la vie à son épouse qu'il essaie de venger. Qu'on se le dise tout de suite, la vraie force de ce long-métrage réside dans son montage, et surtout sa narration. En effet, le film est monté dans le désordre : l'histoire débute sur un meurtre que commet Leonard, séquence filmée en couleur, puis ensuite on enchaîne avec une séquence qui n'a rien à voir, filmée en noir et blanc, où Leonard est dans une chambre d'hôtel. Les séquences en couleur sont montées dans l'ordre anti-chronologique tandis que les séquences en noir et blanc sont montées à l'endroit. Pour faire plus simple, si l'on découpait le film en 50 séquences, il serait monté de cette manière : 50, 1, 49, 2, 48, 3, ... Ce choix de montage si particulier est en fait crucial pour pouvoir se mettre dans la peau du personnage principal ; le spectateur est largué dans le film, ne sachant pas ce qu'il s'est passé avant, telle l'amnésique protagoniste. Ce n'est qu'au fur et à mesure que l'intrigue avance (ou recule?) qu'on peut nous-même reconstituer le puzzle et comprendre ainsi l'entièreté du film. Bien entendu, ce procédé fonctionne surtout grâce à la narration du film. Du fait que la narration non linéaire nous met dans le même état d'esprit que Leonard, on est aussi perdu que lui et pourtant on arrive à comprendre rapidement de quoi il en retourne grâce aux petites notes et commentaires qu'il a gardé sous forme de photos ou inscrites sur son propre corps. De même, les deux autres personnages (Natalie et Teddy) se révèlent changer d'état d'esprit d'une scène à l'autre, profitant ainsi de la condition de Leonard. L'idée de n'avoir placé que trois personnages dans l'intrigue principale (les autres comme Dodd ou le concierge de l'hôtel ne tenant pas des rôles extrêmement importants) permet de ne pas s’emmêler les pinceaux bien que le montage du film soit si particulier. Le film est vraiment un chef-d’œuvre à ce niveau-là car il réussit à tenir le spectateur en haleine tout au long du film mais en le déroutant complètement et en le forçant à reconstituer le puzzle mentalement. Memento se présente à première vue comme une histoire de vengeance, mais vers les 3/4 du film, c'est un autre discours qui intervient.
La femme de Leonard aurait en fait survécu à l'agression et aurait été morte d'une surdose d'insuline provoquée par Leonard comme cure de son diabète, ce dernier ne se souvenant pas lui avoir administré une dose quelques minutes auparavant. Durant les scènes en noir et blanc, Leonard raconte cette histoire mais la décrivant par un autre personnage atteint du même mal que lui (Sammy Jankins). D'après Teddy, Sammy Jankins était en fait un escroc et cette histoire ne serait qu'une projection mentale de Leonard pour se libérer de sa culpabilité et ainsi trouver une raison, un but à sa vie en traquant le meurtrier de sa femme, John G. Cependant, Christopher Nolan a donné une autre interprétation. Teddy mentirait à ce moment-là, manipulant les souvenirs à long terme de Léonard. Ce dernier s'accroche alors au but de sa quête en persistant dans sa traque de John G et s'auto-persuade que Teddy est le tueur (Teddy étant un John G), amenant ainsi Leonard à tuer Teddy. Personnellement, j'ai une préférence pour la seconde interprétation, car elle est justifiée par la réplique "Tu crois que je ne connais pas ma femme ?" mais les deux sont tout à fait recevable.
Pour parler réalisation, Nolan fait comme à son habitude et nous propose un film soigné de bout en bout, truffé d'inserts sur les polaroïds et tatouages de Leonard, et d'une lumière et des décors très ternes. Le film est également porté par des acteurs impeccables, en tête Guy Pearce extrêmement convaincant en personnage amnésique et en quête de vengeance, et de même Carrie-Anne Moss et Joe Pantoliano sont excellents dans leurs rôles de personnages manipulateurs. Pour les fans de films originaux et déroutants, de thrillers nous amenant à nous questionner sur les liens entre liberté intérieure et confiance, sur l'auto-confiance, et sur l'obligation d'avoir un but à notre vie.