Le film a obtenu la Palme d'or au Festival de Cannes 2022. Il s'agit de la seconde Palme de Ruben Östlund, après The Square en 2017.
Le titre original de Sans filtre est Triangle of Sadness, "triangle de tristesse" en français. Cela fait référence à un terme utilisé dans l’industrie de la beauté. Une des amies de Ruben Östlund s’est entendue dire par un chirurgien esthétique lors d’une soirée au sujet d’une ride entre ses sourcils : “Vous avez un triangle de tristesse assez profond… Mais je peux arranger ça avec du Botox en un quart d’heure”. Le réalisateur raconte : “En suédois, on appelle ça la ride du souci, elle serait le signe qu’on a eu beaucoup d’épreuves dans sa vie. J’ai trouvé que c’était révélateur de l’obsession de notre époque pour l’apparence et du fait que le bien-être intérieur est, d’une certaine manière, secondaire.”
Après le monde de l’art contemporain dans The Square, Ruben Östlund s’attaque au milieu de la mode, qu’il connaît bien pour avoir créé en 2018 une ligne de vêtements (appelée “Bourgeoisie discrète”) pour la marque suédoise pour homme de son ami Per Andersson, Velour. Sa compagne est par ailleurs photographe de mode. Il a découvert lors de ses recherches que les mannequins hommes gagnent en général trois fois moins qu’une femme. Cette disparité de salaire était l’occasion de mettre en scène un couple de mannequins et d’observer la différence de traitement entre eux. Il précise : “De nombreux mannequins hommes m’ont dit qu’ils étaient souvent confrontés à des hommes homosexuels ayant beaucoup de pouvoir dans le milieu et qui voulaient coucher avec eux, parfois contre la promesse d’une plus belle carrière.”
Avec Sans filtre, Ruben Östlund souhaitait s’intéresser à l’importance du physique dans nos interactions sociales : “Son importance aussi cruciale dans la société est une inégalité universelle, mais d’un autre côté, on peut naître beau, quel que soit l’endroit d’où l’on vient, et cette beauté peut servir à se hisser en haut de l’échelle socio-économique dans une société de classes.” Il ajoute : “Les femmes mannequins plaisantent souvent en disant qu’une fois leur carrière terminée, elles peuvent toujours épouser un homme riche et devenir épouse potiche, ce qui n’est pas vraiment possible pour les mannequins hommes.”
Si Sans filtre offre une peinture mordante des personnes privilégiées, Ruben Östlund ne voulait pas pour autant les dépeindre de façon manichéenne : “Il est presque impossible de ne pas être influencé par les privilèges dont on bénéficie. Je crois à la gentillesse des gens riches. Les gens qui réussissent ont souvent une grande intelligence sociale, sinon ils ne seraient pas arrivés là. La légende selon laquelle les gens qui ont du succès et de l’argent sont des monstres est très réductrice.” C’est pourquoi il a voulu faire du couple âgé anglais les personnages les plus sympathiques du film : “Ils sont gentils et respectueux avec tout le monde, il se trouve simplement qu’ils ont fait fortune en vendant des mines antipersonnel et des grenades. C’est sans doute un portrait plus juste du monde tel qu’il est.”
D’origine suédoise, Ruben Östlund signe avec Sans filtre son premier film en langue anglaise. Ses scénarios traitant de sujets universels, la principale difficulté a été pour lui de saisir les nuances de la langue de Shakespeare. Les comédiens lui ont permis de combler ses lacunes et d’enrichir les dialogues. Il souligne cependant : “je suis partagé sur le fait de faire des films en anglais car je reste critique de la domination de la culture anglo-saxonne. L’influence qu’elle a sur la Suède et sur la Scandinavie a pris des proportions délirantes.”
Les scènes en extérieur sur le yacht ont été filmées sur le Cristina O, l’ancien yacht des Onassis. Le réalisateur explique : “Ce yacht est un symbole très fort de l’élite des années 60 et 70 et de la ribambelle d’hommes célèbres et puissants comme Churchill qui ont passé beaucoup de temps à son bord.” L’équipe a tourné neuf jours sur le yacht, ce qui représentait un budget conséquent. Le tournage sur le bateau s’est achevé la veille du début d’un nouveau confinement. “S’il avait été décrété quelques jours plus tôt, je ne sais pas comment on aurait pu finir le film”, raconte Ruben Östlund.
Ruben Östlund estime que les films et la culture en général peuvent changer la société. “Il faudrait être idiot pour penser le contraire.” Il prend l’exemple de nombreux jeunes hommes suédois qui meurent dans des règlements de comptes entre gangs : “il y a un débat grandissant sur l’influence du gangsta rap sur nos comportements. Répondre oui à [la] question [de l'influence du cinéma sur la société], ce n’est pas être pro-censure. Tout en croyant à la liberté d’expression, il faut aussi veiller aux conséquences que cette expression culturelle peut engendrer.”
- Nombre d’acteurs auditionnés pour le rôle principal de Carl : 120
- Nombre moyen de prises de vue par scène : 23
- Heures de rushes : 171
- Temps de montage : 22 mois
- Jours de tournage : 73 étalés sur 3 périodes (19.02.2020 - 26.03.2020 en Suède / 27.06.2020 - 03.07.2020 en Suède / 18.09.2020 - 13.11.2020 en Grèce)
- Nombre de tests covid réalisés pendant la production : 1061 / tous négatifs
L'actrice Charlbi Dean Kriek, qui tient l'un des rôles principaux de Sans filtre, est décédée le 29 août 2022 à l'âge de 32 ans d'une infection pulmonaire.