Ciel Rouge est le premier long-métrage en tant que réalisateur d'Olivier Lorelle. L'artiste a surtout officié en tant que scénariste, notamment sur les films de Rachid Bouchareb (Indigènes, Hors-la-loi, La voie de l'ennemi).
"J’écrivais initialement pour le théâtre puis, décidé à vivre de l’écriture, je suis devenu scénariste. Ancien professeur de philosophie, j’ai trouvé quelque chose qui me convenait dans la relation avec les réalisateurs, dans un rôle « d’accoucheur ». Mais le scénariste n’est pas reconnu, en France, à l’aune de sa part véritable dans la création, et je n’ai pas voulu être gagné par l’amertume… Au départ c’est pour cela que j’ai décidé de réaliser… Et en fait j’ai compris que c’était finalement ce que je devais faire pour être au plus près de mon désir initial de création", confie le cinéaste.
En mars 1945 les Japonais attaquent les garnisons françaises en Indochine mettant fin à l’autorité coloniale de la France. Mais quelques mois plus tard, les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki scellent la
défaite japonaise. Profi tant du vide laissé par les Japonais, Hô Chi Minh lance la résistance indépendantiste et, le 2 septembre 1945, proclame la république et l’indépendance du Vietnam. Le général de Gaulle juge primordial de reconstituer l’Empire français pour ne pas disparaître écrasé entre les deux blocs, américain et soviétique et, dès septembre, les premiers éléments français débarquent à Saïgon.
Ces Français qui s’engagent dans le CEFEO (corps expéditionnaire français en Extrême-Orient) sont d’anciens résistants qui veulent continuer la grande aventure, ou d’autres trop jeunes pour avoir fait la Résistance et qui brûlent de se battre pour une grande cause. On leur présente l’expédition comme une oeuvre de pacification : chasser les pillards japonais qui ont refusé la démobilisation et terrorisent la population. Mais, arrivés sur place, obligés de combattre des partisans luttant pour l’indépendance de leur pays, certains doutent et les plus résolus déserteront pour rejoindre les rangs du Vietminh.
Pendant ses premières années, la guerre d’Indochine est une guerre cruelle, guerre d’escarmouches, opposant une armée colonisatrice dispersée sur le terrain à des partisans quasiment invisibles, qui frappent et disparaissent. C’est au tout début de cette période que se situe le film.
"Pour Ciel rouge je suis parti du désir de raconter une histoire d’amour impossible dans une guerre. Le point de départ a été : un soldat, fasciné par le courage mystérieux d’une ennemie, va s’enfuir avec elle. Il me fallait donc une guerre, entre deux ennemis de cultures différentes. Et je voulais d’emblée une guerre, non pas avec des armées et un front, mais quelque chose où les soldats perdent leurs repères dans un pays qui les engloutit… Cela existait pendant la guerre d’Indochine, ils appelaient même ça la « jaunite ». C’est donc la jungle qui m’a attiré et qui m’a d’abord fait choisir cette guerre", explique le réalisateur Olivier Lorelle.
Les films sur l’Indochine sont d’habitude tournés au Cambodge. Ciel rouge est le premier film français tourné au Vietnam depuis Indochine, de Régis Wargnier, et Diên Biên Phu de Pierre Schoendoerffer il y a 25 ans :
"Il n’a pas été facile de financer ce film et le producteur Édouard Mauriat a réussi à ce qu’on le fasse avec très peu de moyens. On constate de nouveau qu’on rechigne en France à montrer notre côté négatif… Montrer un soldat français qui tire sur des français, « ce n’est pas possible » nous a-t-on dit en substance. Et puis le film s’est heurté à un roc : on nous renvoyait toujours que les films sur la guerre d’Algérie ne marchaient pas, que ces thématiques de repentance n’intéressaient pas les Français. Enfin, concernant plus spécifiquement la production de films aujourd’hui, les films historiques n’intéressent pas. Or j’avais envie d’une histoire d’amour à qui l’Histoire donne une grandeur. La guerre d’Indochine portait un idéal", analyse Olivier Lorelle.
Le réalisateur Olivier Lorelle revient sur le tournage de Ciel Rouge au Vietnam:
"Nous avons tourné 19 jours, à deux caméras, en filmant tout en plan séquence, et en filmant même les répétitions. Finalement nous avions 70 heures de rushes à monter. J’ai découvert là, à cause de la contrainte financière, une méthode qui me convient artistiquement parfaitement… Nous avions répété les scènes avec les deux acteurs dans un théâtre à Hanoi, uniquement pour leur donner des appuis de jeu, sans forcer les émotions. Puis nous les avons lâchés dans la jungle avec, à leurs trousses, les deux chefs opérateurs. Il y avait des chutes, des imprévus. Ces accidents m’intéressaient… Au montage, nous avions des plans séquences de parfois quinze minutes et c’était une vraie matière de cinéma dans laquelle on pouvait tailler, en gardant des mouvements de caméra imprévus."
"J’ai utilisé le format Scope qui permet de faire sentir le poids du hors champ, surtout si l’on se déplace lentement. En Scope, faire des mouvements lents crée une menace. Cela fait apparaître le monde dans lequel les personnages s’inscrivent et qui n’est pas simplement un décor, mais qui a sur eux une puissance mystérieuse. Mon idée était de faire ressentir l’étrangeté, la magie du monde, peut-être sa secrète pensée", explique le cinéaste Olivier Lorelle.
Olivier Lorelle a choisi Audrey Giacomini et Cyril Descours pour interpréter les rôles principaux de Ciel Rouge :
"D’abord je voulais que les deux personnages aient une beauté classique, quelque chose de pur dans les lignes de leur visage, pour servir le romantisme du fi lm qui passe par le fait de montrer la beauté, notamment celle de la nature. Il me fallait des acteurs qui puissent exprimer l’ingénuité, la générosité des deux personnages elle engagée avec toute sa foi dans la Révolution, et lui émerveillé par la nature, admiratif du courage de cette fille viet… Je voulais des acteurs qui n’arrivent pas non plus dans les scènes avec une « assiette », une façon à eux de jouer, de prendre les choses, car les deux personnages deviennent poreux l’un à l’autre et la qualité essentielle des acteurs devait être, si je puis dire, leur solide fragilité.
Nous avons tourné quasiment dans l’ordre, et je comptais beaucoup sur la fatigue pour obtenir, à la fin du film, une véritable transformation des personnages… Il faisait très chaud, l’atmosphère de la jungle est étouffante, et en plus, avant chaque prise, je demandais aux acteurs de faire des allers-retours dans la forêt… Plus le film avançait, plus Audrey et Cyril étaient « nettoyés », et à la fin les personnages sont parvenus à un au-delà de ce qu’ils étaient, donc, du point de vue des acteurs, une dépossession. Et c’est vraiment ce qui se passe dans les dernières scènes dans les visages de Cyril et d’Audrey, ce qui m’émeut, ils sont au-delà", déclare le metteur en scène.