Je suis embarrassé, je l’avoue. Le film lui-même est une agréable surprise. Je ne pensais pas être touché par un film de facture saoudienne ! « The Perfect candidate » est réalisé par Haifaa Al-Mansour dont j’avais apprécié son « Mary Shelley » avec Elle Fanning. En soi, c’est le premier film saoudien que je vois. Je n’ai pas eu l’occasion de voir son tout premier, « Wadjda », et vais épier sa diffusion pour me mettre à jour.
Selon Haifaa Al-Mansour, première femme réalisatrice saoudienne, son pays progresse. Pour son premier, « Wadjda », il n’y avait aucune salle de cinéma dans le Royaume, les femmes ne conduisaient pas ; la réalisatrice devait rester dans son van pour ne pas se mêler aux hommes sur le plateau. Apparemment pour ce film, elle a joui d’une certaine liberté. A l’entendre tout va trop vite. Et c’est tant mieux.
Le film commence par une femme qui conduit. D’emblée, la réalisatrice nous informe que son pays évolue dans le bon sens. Pour information, l’Arabie Saoudite aurait été le dernier pays au monde à interdire les femmes de conduire. A vérifier.
J’ai été aussi étonné de voir que Maryam, docteur, puisse se présenter à des élections locales. La réalisatrice nous donne à voir une femme émancipée malgré les nombreux carcans qui l’enserrent, autorisation de sortie, meeting en distanciel car interdit de s’exprimer devant un public d’hommes. Mais Maryam a du caractère et sera obligée d’enfreindre la loi pour se faire entendre. Comme j’ai été étonné de voir sa soeur photographe, cinéaste pour des mariages.
A l’extérieur de leur sphère familiale, les femmes se dévoilent en communauté, maquillées, habillées de robes dessinant leur silhouette ; elles peuvent même être sexy. Pendant ces mariages, il leur suffit d’appliquer un léger voile dès que l’homme se présente. Pas bien méchant tout ça. A cela s’ajoute, un père ouvert, musicien de surcroît. Il part en tournée avec sa petite troupe musicale.
A ce propos, durant cette tournée, la réalisatrice nous informe que cette troupe musicale peut être menacée par des fanatiques. Ce qui sous-entend que l’Arabie Saoudite doit combattre, sur son territoire, des mouvements islamistes ; et ce qui sous-entend aussi que le Royaume respire un air de liberté d’expression artistique en autorisant cette troupe musicale de s’exprimer.
Bref, ce film est instructif.
A la fin du générique, je suis comme agréablement surpris de cette société saoudienne en mouvement vers une liberté qui se construit pas à pas. Le film se termine par une note encourageante :
le patient qui refusait systématiquement d’être observé par Maryam, finit par rendre hommage à ses compétences et ne semble plus buté à l’idée d’être soigné par une femme.
Merveilleux.
Le mâle peut aussi évoluer.
Et pourtant, comme je l’ai écrit plus haut, je suis embarrassé. Je m’interroge sur les intentions véritables de la réalisatrice. L’Arabie Saoudite demeure une dictature religieuse. Sa constitution repose toujours sur le Coran. L’Arabie Saoudite est un des pays encore qui bafoue les Droits de l’Homme. L’homosexualité, les pratiques sexuelles dites contre natures, l’adultère sont passibles de la peine de mort. Comme l’athéisme, le fait de renier sa foi, manifester pour une autre religion, critiquer le Royaume et la famille Saoud.
Quid des conditions de vie des ouvriers émigrés ? Quid des centres de détention ? Quid de la torture ? Quid de la traite des femmes et ce qui en découle : l’esclavage ?
Je sais bien que tout doit se faire progressivement, la liberté n’est pas un robinet d’eau que l’on peut ouvrir aisément. Et aux yeux des saoudiens, ce qui semble peu voire nettement insuffisant pour moi ou un occidental, peut s’interpréter comme déjà conséquent.
Après le succès international (?) de « Wadjda », après une commande réussie « Mary Shelley », le Royaume ne profiterait-il pas de la vitrine Haifaa Al-Mansour dans sa course à la liberté (toute relative) ? Et la réalisatrice ne tomberait-elle pas dans une certaine « propagande » maladroite ? Un échange de bons précédés dont profiterait le régime ? J’espère me tromper. Après tout, je note un progrès entre le film et la réalité : la femme n’a plus besoin de tuteur pour voyager, ce qui n’était pas le cas du personnage Maryam.
La femme peut désormais signer son contrat de mariage, obtenir l’autorité parentale et se présenter à des élections comme le personnage Maryam.
Les lignes bougent quoiqu’il arrive et c’est tant mieux. Je crois qu’il est impossible de demander plus dans la mesure où ce pays repose sur le Coran, un texte religieux, lequel est par essence antinomique au mot libertés au pluriel !
Une oeuvre d’art n’a pas pour ambition de changer le monde, mais elle peut contribuer à amorcer une évolution des mentalités. Quand on regarde bien le film, Haifaa Al-Mansour ne dénonce pas grand-chose, elle reste sagement sur les clous. Cela dit son film est instructif et dépaysant.
A défaut de parler de courage, Haifaa Al-Mansour ne me semble pas inquiétée par les autorités de son pays, elle a peut être contribué à pousser son pays à lâcher un peu de leste.
Je préfère conclure sur une note positive plutôt que d’être suspicieux.
A voir en V.O pour la langue et le jeu de Mila Alzahrani, très convaincante.