Une baffe cosmique
Après des films mélancoliques comme Daddy Longlegs ou Mad Love in New York, les frères Safdie avaient opéré un changement + violent avec Good Time en 2017.
Avec Uncut Gems, les 2 réalisateurs citent Lumet, Altman, Cassavetes ou encore Scorsese pour aller encore plus loin, et le résultat est tout simplement sensationnel.
On y suit donc Howard Ratner, un joaillier au tempérament d'électron libre, qui va faire acquisition d'une précieuse opale noire brute. En pariant par la même occasion des sommes d'argent à tout va pour éponger ses dettes, il se retrouvera dans une spirale infernale où son addiction au jeu lui fera prendre les pires risques, en empruntant à tout va, au risque de contrarier les mauvaises personnes..
En développement depuis 10 ans, Uncut Gems s'ouvre via un prologue plaçant son action dans une mine de diamant en Ethiopie, où cette fameuse opale noire est trouvée, comme pour illustrer d'entrée de jeu le coup humain qui est le prix de sa convoitise.
Par la suite, et à l'instar des précédentes œuvres des Safdie, le film nous immerge littéralement dans la jungle urbaine et fiévreuse de New York dans le district des diamantaires et prêteurs sur gage. Howard, anti-héros par excellence, est le personnage autour de qui tout gravite. Constamment sur le qui-vive, le téléphone à la main, cloisonnant sa vie à l'extrême au point de foirer sa vie privée et en quête du meilleur coup. La tension du film est constante sur les 2h tant chez le personnage que chez le spectateur.
Toujours en terrain de thriller intimiste assez balisé teinté de comédie noire, les Safdie injectent des doses d'adrénaline et de frénésie incroyables à intervalles réguliers, à mesure que Howard semble se sortir d'une situation mais prend une décision encore plus grave. Une recette qui pourtant ne s'essouffle jamais, renversant constamment les rapports de force en présence tout en créant de nouveaux enjeux dramatiques,jusqu'à un dernier tiers à la tension inouïe.
Une énergie démente pour une étude de personnage désespéré et compulsif, tentant de toujours pousser la limite plus loin. Et si le style des frangins Safdie est ultra singulier, jouant constamment des joutes verbales, de cadres proches des visages et d'une viscéralité exacerbée à chaque plan, Adam Sandler est le joyau de la couronne.
Courtisé depuis le début pour incarner Howard, Adam Sandler trouve ici peut-être le rôle de sa vie, au service de sa meilleure interprétation depuis Punch-Drunk Love de Paul Thomas Anderson. Sanguin, épuisant et brillamment antipathique, on a là un personnage qu'on adore détester. Pourtant l'interprétation tantôt subtile tantôt explosive de Sandler amène le spectateur a comprendre le personnage d'Howard et à créer l'empathie malgré les choix de ce dernier. Une écriture brillante en symbiose avec une interprétation magistrale.
Le reste du casting n'a pas à rougir : Lakeith Stanfield est comme toujours excellent, Idina Menzel est un atout charme, Eric Bogosian menaçant...mais les 2 révélations sont Julia Fox (sorte de pendant féminin d'Howard) et Kevin Garnett (jouant son propre rôle) pleins de professionnalisme. Anoter uncaméo très plaisant de The Weeknd également.
Daniel Lopatin, déjà à l'oeuvre sur Good Time, livre une OST tantôt atmosphérique tantôt terriblement anxiogène à base de synthés (la vibe Blade Runner et Akira n'est pas loin). Un plaisir pour les sens, autant que la photographie cristalline et précise de Darius Khondji, réinventant sa grammaire de chef op' pour un résultat absolument magnifique via ses jeux de contraste avec la longue focale.
En conclusion, Uncut Gems est bien un diamant brut, une œuvre entropique d'une efficacité et d'une maîtrise incroyables. Lorgnant à la fois vers le thriller que l'étude de personnage ou bien la peinture d'un monde capitaliste cloisonné, les Safdie rentrent dans la cour des grands.
Un chef-d'oeuvre