Initiative périlleuse que ce film d’Eric Caravaca. Film qui relève de son cercle familial, c’est-à-dire de son intimité. Un secret de famille doit par évidence rester non seulement secret et, si révélé, ne pas sortir du cercle familial. Un linge sale qu’on garde pour soi. Périlleux parce qu’il entraîne sa maman à se confier publiquement. Périlleux, car il expose sa maman au feu des commentaires, du jugement. A parcourir quelques réactions, ceux qui s’indignent sur la démarche morbide du réalisateur, sur l’intérêt de ce film, ne portent pas de jugements envers la maman. Non seulement ils la plaignent, mais ils reprochent au fils d’avoir forcé le verrou du passé. Un passé qui appartient à ses parents, un passé qui n’est pas contemporain du réalisateur et de son frère puisque cette petite soeur est morte bien avant leur naissance. Elle n’est pas un souvenir vague, fugace inscrit dans le tréfonds de leur mémoire. Si je m’interroge sur l’utilité de ce film diffusé à grand échelle, entendez dans des salles de cinéma, je ne juge pas pour autant Eric Caravaca. S’interroger me paraît légitime. Ressentir un malaise, une gêne d’entendre sa maman qui a sombré dans le déni me paraît légitime. Etre mal à l’aise quand il filme son père étendu mort sur un lit d’hôpital me paraît légitime. Ne pas adhérer à cette enquête familiale me paraît légitime. S’interroger sur le bien fondé de certains faits d’actualité concernant les guerres d’indépendance au Maroc avec des scènes d’une violence odieuse, tueries et exécutions, me paraît légitime. Je comprends qu’on puisse à la fois compatir et rester à distance. Mais ne pas juger. Eric Caravaca filme depuis longtemps son cercle familial et cette quête de la vérité, qui est de l’ordre de l’intime, lui paraît indispensable à révéler au grand jour. Est-ce pour aider sa mère ? Une forme de catharsis. Définition : «La catharsis est ainsi le processus, parfois émotionnellement violent, au travers duquel le sujet se libère du refoulement » Celui de sa maman ? Je ne le dirai jamais assez, rien ne me choque dans l’art. D’aucuns diront ce n’est pas de l’art, je suis de ceux qui pensent le contraire. On peut ne pas le comprendre, on peut ne pas aimer, mais ça reste de l’art. Eric Caravaca nous fait part de sa douleur, de la douleur de sa maman, de ses parents et c’est aussi un hommage à sa maman et à sa petite soeur. Il réhabilite sa mémoire et son souvenir. En soi, il réconcilie sa maman et sa fille. Il honore sa famille. Par contre il ne s’agit pas de plaindre sa maman. Il s’agit de la comprendre et de compatir. A bien y réfléchir, Eric Caravaca avec « Carré 35 » nous a proposé un sujet fort. Il aurait pu en faire une fiction, un scénario tiré d’un fait réel, il nous le propose sous la forme d’un documentaire. Courageux et périlleux.