Rares sont les films de survie à accorder à l’espace environnant un rôle à part entière, une vie autonome faite de cycles et perturbée par des tempêtes, des pluies gelées, par ceux qui s’activent sur son sol, un ours blanc, un homme et une femme. Arctic adopte donc la démarche audacieuse d’un refus du spectaculaire au bénéfice d’une longue errance où l’intimité humaine trouve une expression physique dans les matières qu’elle affronte : la neige d’abord et surtout, la neige dans laquelle s’enfonce chaque pas péniblement accompli et constamment à refaire pour avancer, encore et encore, toujours plus loin en suivant la carte qui ne dit pas tout, masque les âpretés d’un relief indomptable et contre lequel on se heurte, guide néanmoins les corps souffrants dans un décor privé de chaleur, une lune de glace et de montagnes. La pierre ensuite, la pierre qui emprisonne la jambe ou s’arrache péniblement d’un sol pour dessiner, en noir sur blanc, un SOS. Celle, aussi, que l’on entasse par petits galets en guise de plaque funéraire. Entre la neige et la pierre, entre la fragilité et la robustesse, un corps vite dédoublé. Le personnage interprété par Mads Mikkelsen, présenté au début comme un roc dont la vie s’avère soigneusement réglée et minutée, perçoit l’accident et l’arrivée de la jeune Russe sous l’angle d’un miroir lui révélant une réalité qu’il avait soigneusement tenue à l’écart : le combat contre la mort qu’il extériorisait par une organisation de la nature recouvre son aspect viscéral. Maintenir autrui en vie, c’est penser à sa mort potentielle, à sa mort à elle, donc à sa mort à soi. Une scène poignante place Overgård dans une situation de deuil avorté avant de le faire tombe dans une caverne recouverte de neige. Tout est dit, sans un mot. Si la femme succombe à la fragilité de son état, l’homme meurt également : on ne saurait dissocier intériorité et extériorité. Dès lors, le récit de survie se double d’une réflexion psychologique sur ce qui pousse l’humain à résister, à affronter un environnement hostile dans l’espoir de trouver un réconfort, un peu de chaleur humaine. L’irruption de la secouriste blessée rappelle à Overgård l’importance du partage et de la famille : la sépulture de pierres, la photographie apparaissent comme des objets sacrés qui traduisent matériellement une foi. L’odyssée glacée s’apparente à un chemin de croix, l’homme allant jusqu’à sacrifier son manteau pour remédier à son malheur. Sous son apparente linéarité, Arctic cache un cœur battant à l’unisson de ses deux personnages, accède à un je-ne-sais-quoi d’essentiel qui dit quelque chose de la condition humaine et de la solitude autant contemporaine qu’atemporelle. L’économie de ses effets décuple sa puissance cathartique et offre un beau moment de cinéma, simple et plus profond qu’il n’y paraît.