À sa manière, discrète et ironique, Mathieu Sapin est un expert. Un expert du récit en images, de par son intense activité de dessinateur de BD, mais aussi un expert de la vie politique française, qu’il a pu observer de très près à l’occasion de ses deux BD Campagne présidentielle et Le Château, toutes deux parues chez Dargaud, et de ses nombreux reportages dessinés, pour le journal Libération notamment. C’est aussi et surtout un expert en comédie. "Lorsque nous sommes allés le voir pour lui suggérer de réaliser un long-métrage, ce sont donc ces différents domaines d’expertise que nous lui avons proposé de réunir, en écrivant avec Noé Debré une comédie se déroulant dans le cadre d’une campagne présidentielle fictive. Ainsi est né ce « Poulain », récit initiatique inspiré de l’observation acérée de cet univers politique « bourré de phéromones », comme nous en prévient dès le début du film le personnage énigmatique interprété avec jubilation par Philippe Katerine. D’une certaine façon, ce récit aurait cependant tout aussi bien pu prendre pour arrière-plan le monde de l’entreprise, du sport ou des médias, tant les enjeux et les personnages qui sont au centre du récit ont un caractère universel. Il n’en reste pas moins que la vie politique, qui reste peu traitée dans le cinéma français, offre des enjeux dramatiques et des ressorts comiques très puissants et originaux", confient les producteurs Francis Boespflug et Stéphane Parthenay.
Mathieu Sapin est arrivé à la réalisation par observation, puisque Joann Sfar, avec qui il partageait son atelier, l’a invité à le suivre le tournage de son film Gainsbourg vie héroïque. "Cette expérience m’a offert un point de vue très privilégié et j’ai pu en tirer une bande dessinée imaginée sous la forme d’un journal de bord. À l’époque, je ne pensais pas du tout réaliser un long-métrage mais le fait d’avoir pu observer en détail toutes les étapes du processus de création (le tournage, la post-production, la promotion…) m’a donné envie de m’y frotter. Et avec Riad Sattouf (Les beaux gosses), Marjane Satrapi (Persepolis) ou Pascal Rabaté (Les petits ruisseaux), j’arrivais après une vague de dessinateurs passés au cinéma qui incitait les producteurs à s’intéresser à la BD, aussi bien pour des adaptations commerciales par des cinéastes expérimentés que pour faire passer des auteurs derrière la caméra. J’ai alors réalisé un court-métrage, Vengeance et terre battue, avec Charlotte Le Bon, Gustave Kervern et Thomas Solivérès, qui était inspiré de mon album Supermurgeman et l’expérience m’a tellement plu que j’ai eu envie de m’essayer au long."
Mathieu Sapin et son équipe ont pu tourner en décor réel... à l'Elysée ! "C’est une de mes fiertés ! Ayant toujours eu pour devise « qui ne tente rien n’a rien », j’en ai fait la demande et ça a marché. Nous avons la chance de vivre dans un pays où l’on peut rencontrer des gens, y compris haut placés, pour leur présenter un projet. Or comme j’avais vraiment aimé l’expérience pour ma BD, je rêvais d’emmener mon personnage sous les dorures du palais de l’Elysée. Au final, Arnaud va loin puisqu’il monte jusque dans le vestibule où trônent les tableaux représentant, en pied, grandeur nature, les présidents disparus de la Ve République. C’est un endroit qui m’avait marqué car il crée la sensation très étrange d’être enfermé dans un tombeau funéraire. Et je suis d’autant plus heureux de les avoir à l’écran qu’ils ont été décrochés peu après l’arrivée du nouveau président. Ça devient presque un témoignage", relate le réalisateur.
Mathieu Sapin voulait échapper aux évidences en proposant le rôle de cette femme odieuse à Alexandra Lamy. La comédienne cherchait justement à aller vers quelque chose de nouveau. "C’était pour elle un sacré challenge car la trajectoire d’Agnès faisait qu’elle avait presque deux rôles différents à tenir. J’étais à la fois enchanté et épaté par ce qu’elle proposait ; elle m’a offert bien plus que ce que j‘avais imaginé. Mais le cynisme qu’elle révèle ici n’est pas là pour écorner l’image de la politique ou pour dénoncer un travers ; il correspond à un vrai souci de réalisme. La « morale » que je voulais donner à cette histoire est plutôt de dire que politique et sentiment font rarement bon ménage, comme me l’a dit un ancien conseiller « la politique, c’est le darwinisme social poussé à son paroxysme ». C’est ce que montre l’inversion des chemins d’Arnaud et d’Agnès. À la fin, elle va baisser la garde et lui, quand on le quittera, il sera devenu un bébé requin dont on peut imaginer plusieurs chemins", analyse le cinéaste.
Mathieu Sapin et ses comédiens ont beaucoup travaillé en amont du tournage. "Je les ai emmenés à des meetings, à des réunions de stratégie de communication, à BFM TV, à CNews, à une conférence de presse d’Arnaud Montebourg… nous avons rencontré beaucoup d’hommes ou de femmes politiques, et des membres de leurs staffs", confie le réalisateur. Sur le plateau, Mathieu leur donnait des consignes très précises tout en leur laissant parfois beaucoup de liberté car en créant toutes les conditions avec un personnage bien dessiné, les acteurs peuvent se laisser aller. "C’est d’ailleurs ce que j’ai fait avec Gilles Cohen et je n’ai pas regretté. Mais c’est sans doute pour Alexandra Lamy que cela a été le plus difficile car je voulais qu’elle soit à la fois inquiétante et imprévisible, dure et tendre, et qu’elle change de couleurs en quelques secondes. Mais elle est très technique et avec une actrice de ce niveau, il y a une richesse de nuances qui permet un montage subtil. C’est un cadeau", ajoute le metteur en scène.
Pour camper Agnès, Alexandra Lamy a d'abord dû trouver le look adéquat. Par exemple, elle a tout de suite pensé qu’il fallait qu’elle porte un rouge à lèvres carmin. "Parler maquillage peut sembler un peu futile mais cet artifice raconte aussi des choses sur le personnage. Or chez Agnès, la bouche est une arme, tout passe par elle : le discours, la séduction, la gourmandise. Son métier la plaçant souvent en représentation, elle devait être très féminine, toujours impeccable et malgré tout assez solaire. De la même manière, les talons aiguilles qu’elle porte ne sont pas anodins : ils changent la façon de se mouvoir et donnent une hauteur qui correspondait bien à son caractère. Par ailleurs, je me suis dit que son smartphone devrait faire partie d’elle. Pour renforcer ce tic devenu banal, j’ai pris deux portables : implicitement, cela explique pourquoi elle écoute systématiquement d’une oreille et n’est pas toujours dans la conversation", explique l'actrice.
Mathieu Sapin souhaitait une musique qui ait de la personnalité. C’est pourquoi il a choisi Nicolas Repac qui s’est illustré en tant qu’auteur-compositeur et dont les mélodies permettaient de faire sortir le public du réalisme. "Plus tard, des titres se sont imposés comme Louxor, de Philippe Katerine. Je trouvais l’idée très osée mais, au montage, j’étais forcé de constater que ça marchait. Et puis j’aimais ce double sens qui était de chiper à Philippe sa musique alors que son personnage se fait voler son discours", confie le cinéaste.
C'est le jeune espoir Finnegan Oldfield (Nocturama) qui se glisse dans la peau d'Arnaud, assistant d'Agnès (Alexandra Lamy). "Je me suis renseigné auprès d’un ami d’enfance qui coach les politiciens pour leurs passages dans les médias et qui me semblait être assez proche de mon personnage. Mais Mathieu Sapin m’a aussi fait rencontrer quelques personnes évoluant dans ce milieu et il m’a permis d’assister à une conférence de presse de Stéphane Le Foll. Ce qui est drôle c’est qu’en découvrant sur Twitter une photo de moi à cet endroit, j’ai compris à quel point j’avais l’air paumé et pas du tout à ma place. Je me suis donc intéressé de plus près à la politique en visionnant des reportages, des interviews et des débats. Comme je prenais en parallèle des cours de théâtre, j’en ai profité pour travailler des passages du débat Macron-Le Pen en me mettant dans la peau du futur président. J’ai pu m’inspirer de sa maîtrise pour répondre aux attaques, de sa fermeté, de son autorité et du ton glacial qu’il peut prendre parfois. Au fur et à mesure de mes recherches, j’ai pris mes marques et, lorsque nous sommes allés diner avec François Hollande, heureusement, j’étais déjà un peu plus au courant", raconte le comédien.