Le titre du film évoque le retour impossible à un endroit, l'idée de la ville perdue de l'enfance. Le metteur en scène Julien Gaspar-Oliveri explique à ce sujet : "Le frère et la sœur ont perdu les liens qui les unissaient à leurs parents. Ils posent leurs regards sur la femme, non plus sur la mère. La ville de Villeperdue existe, mais je n'en suis pas originaire. Il se trouve qu'un jour, en revenant d'un tournage, le train dans lequel je me trouvais est tombé en panne, et pendant trois heures, nous sommes restés bloqués en gare de Villeperdue. Je travaillais déjà sur l'écriture des scènes qui allaient constituer le film. J'ai noté ce mot, en me disant qu'il ferait un bon titre. J'aimais le fait que celui-ci constituait un bloc. Il m'évoque la cité désuète où se déroule le récit, cet endroit dans lequel subsistent des restes, des fantômes d'une vie passée. Et cela me semblait d'autant plus pertinent dans le cadre d'une histoire sur le deuil."
Les pics de tension présents dans Villeperdue rappellent une violente scène de dispute entre un père et son fils dans Loin de Benjamin, le premier court métrage réalisé par Julien Gaspar-Oliveri. Ce dernier confie : "Il est important que les choses se passent autant derrière que devant la caméra. À mes yeux, c'est presque une contrainte technique : ça vient sans doute du théâtre, j'ai envie qu'un plateau de cinéma ne se résume pas à l'agencement d'un acteur dans un décor. Pour moi, le perchman est impliqué au même point que les acteurs. Il faut que tout le monde raconte la même histoire. Concernant la scène de salle de bains que nous évoquions à l'instant, on sent très vite qu'elle est violente, criarde. Être hors champ et hurler, ou être devant la caméra et se taire, pour moi, c'est la même chose."
Comme dans "Passe", le précédent court métrage de Julien Gaspar-Oliveri, Villeperdue est un récit multigénérationnel, dont les problématiques et interrogations des parents et des enfants fonctionnent en miroir. Une chose qui tient particulièrement à coeur au metteur en scène. Ce dernier développe :
"Je travaille, en ce moment même, à la préparation d'un premier long métrage qui, justement, s'attachera à la fois à l'histoire d'un garçon de 27 ans et à celle de ses parents. La famille est mon thème de prédilection : c'est une société en soi, la première que l'on connaît. Par la suite, on va dans des familles que l'on se choisit, et on y agit le plus souvent comme on nous a appris à le faire dans la première. Certains s'inscrivent dans le prolongement de ce milieu d'origine, d'autres entrent en rébellion avec lui, mais tous agissent et se positionnent par rapport à lui. Si j'insiste à ce point dans l’écriture sur ce premier cercle familial, c'est sans doute dans l'espoir de pouvoir, un jour, traiter exclusivement du deuxième."
Julien Gaspar-Oliveri pensait à l'origine interpréter lui-même le rôle de Vincent, mais il a finalement renoncé à jouer dans son propre film pour garder un œil extérieur sur le personnage. "Je connais très bien Benjamin Siksou, il avait lu le scénario, mais jamais je n'aurais envisagé, à l'origine, de lui proposer le rôle. Et puis, trois mois après, ça a été une révélation. Je l'ai vu, il venait de se couper les cheveux, il y avait quelque chose de différent... Le choix s'est fait en une demi-heure. Il dégage quelque chose d'immédiat pour le personnage", confie le metteur en scène.
Julien Gaspar-Oliveri a choisi Carole Franck pour jouer Gaev principalement pour son incertitude quant à sa capacité à interpréter ce rôle. Le cinéaste précise : "Ça m’intéresse de voir les acteurs déstabilisés, hors de leur zone de confort. Non pas de les mettre en péril, mais de faire en sorte qu'ils ne sentent jamais trop sûrs afin de ne jamais arrêter de puiser et de construire. Il y a, chez ces trois acteurs-là, quelque chose d'un peu instable, ils n'ont de cesse de questionner leur place en la défendant."
Un financement participatif a été organisé afin de permettre à l'équipe de meubler l'appartement où se déroule une partie du récit. Cet argent a également permis à Julien Gaspar-Oliveri de disposer d'une journée de tournage supplémentaire. Le réalisateur se rappelle :
"Nous n'avions plus d'argent, l'équipe décoration n'était pas en mesure de meubler l'appartement. Or, il fallait que cet intérieur soit crédible et qu'on puisse croire qu'une famille y avait réellement passé vingt ans. Comme choisir un acteur, les décors pour moi sont des choix essentiels. Villeperdue procède d'une économie très fragile. Tourner 9 à 10 séquences par jour n'a rien d'aisé, mais c'est aussi ça, faire un film, aujourd'hui, et cette économie “low-cost” a participé à l'énergie du projet, à nous placer dans une forme d'urgence."
Villeperdue est un moyen métrage qui a tout de même été distribué en salles. Julien Gaspar-Oliveri raconte : "De par sa durée, le film a pu effrayer un certain nombre de festivals de courts métrages mais, quoi qu'il en soit, l'idée de le voir distribué en salles est venue très tôt. Au stade du scénario, déjà, l'objectif de la sortie avait été évoqué. Elle procédait d'un réel désir de la part de Stéphane Demoustier et de sa structure de production, Année Zéro, qui ont soutenu très fort le film avec Pierre-Alexandre Schwab, coproducteur du film, arrivé à peine quelques semaines avant le tournage. La fabrication de Villeperdue est peu ordinaire car tous les moyens ont été consacrés au film. Les producteurs ne se sont pas payés, une postproduction à moindre coût… Tous les partenaires ont fait des gestes. C’est là l’engagement total des producteurs. Il est clair que les aspects économiques et artistiques sont liés. C’est dans ces conditions qu’il a fallu parfois faire l’impasse sur certains plans, faute de temps, sans rien perdre. Au tournage, je décidais sur le moment de ne mettre en place qu’un plan pour raconter une scène entière. Je pense surtout à la séquence de la rivière, lorsque Régis débarque alors que les enfants sont dans l’eau. Il n’existe aucun plan sur leurs réactions. Cette scène, c’est un plan d’ensemble, radical, qui m’a beaucoup posé question sur le moment. Cette "débrouille" à participé à la construction et au ton du film, et le plus souvent, ces contraintes nous furent favorables. Pour toutes ces raisons, la sortie du film est une immense récompense. Nous sommes tous heureux de voir nos efforts aboutir ainsi, et je suis personnellement ravi que Villeperdue, qui me tient particulièrement à cœur, soit mon premier film à sortir en salle."