Si l’art de l’animation fait main a su se forger une solide réputation dans la culture nippone, le réalisateur irlandais Tomm Moore retrouve son animateur Ross Stewart pour ouvrir un nouveau grimoire celte et pour affirmer une place de choix pour investir la succession d’un Miyasaki, qui a dorénavant tiré sa révérence. Après “Brendan et le secret de Kells” et “Le Chant de la mer”, le versant colonial de l’Irlande revient au goût du jour, dans le but de justifier et de dénoncer la suprématie d’une souveraineté, sans nuances et émotions. La menace plane aussi bien sur un village fortifié que sur la forêt, située aux portes de ce dernier. L’occupation britannique en arrière-plan laisse donc entrevoir un voyage ludique pour deux jeunes filles, qui reçoivent l’appel de la liberté et de la nature avec une grande sagesse.
Robyn est la fille du chasseur Goodfellowe, pour qui le conforte est dicté par une répétition et une répartition des tâches. Les hommes seront en première ligne, tandis que les femmes œuvrent à entretenir leur confort. Ce cycle inégal pousse instinctivement la jeune fille à fantasmer, au de-là de l’enclos qui la contient. Cependant, la lucidité et l’habilité de cette dernière l’emmèneront bien au-delà des frontières qu’elle espérait et qu’elle commence alors à redouter. Le vertige de cette narration réside ainsi dans cette ambivalence constante, entre le désir de communiquer des valeurs fortes avec son jeune public et de baliser un courant de pensée pour les plus aguerris. C’est à la force d’une animation 2D numérique, que l’on prend un malin plaisir à suivre son ascension et sa compréhension du monde qui l’entoure, tantôt avec un regard d’enfant, tantôt avec celui d’une louve.
Sa rencontre avec Mebh, une jeune meneuse d’une meute, lui octroie une évasion spirituelle et bienveillante, malgré la cruauté omniprésente. Lord Protector constitue un mal tout en apparence, qui défie constamment l’équilibre que les filles cherchent à bâtir. Ces intermédiaires entre l’Homme et la nature illustrent ainsi le socle de toute une aventure humaine, une aventure qui accepte sa part animale. Mais celui qui est aux rênes du feu et du chaos semble convaincu par sa mission ecclésiastique, comme si ce modèle de croyance serait un facteur déterminant à sa définition de la paix, rigide, uniforme et outrancièrement obsolète. Le pouvoir, alimenté par la peur qu’il cultive, ne répond pas aux attentes de la forêt, chose que l’on retrouve aussi bien dans le prestigieux “Princesse Mononoké” que dans cette œuvre, qui brille essentiellement dans son visuel impeccable.
La fluidité rythme le mouvement des corps, sur un plateau horizontal ou vertical, mais surprend également lorsqu’il parvient à jouer sur la profondeur. Injections à cela de l’émotion brute et une décharge de violence jamais gratuite, nous obtenons ainsi un authentique et rigoureux langage, qui ne prescrit pas l’universel comme chez Disney, sous peine de manquer de paillettes enchantées. “Le Peuple Loup” (Wolfwalkers) possède sa part fantastique et magique, avec toute la puissance de son discours salvateur, repositionnant la place de la femme dans la société, tout comme celui de tout être vivant, pouvant cohabiter, malgré un fossé culturel qu’il convient de combler avec quelques pas en arrière.