J'ai beau globalement apprécier le cinéma d'auteur français (catégorie certes très large et hétérogène), je n'ai guère goûter à ces Provinciales qui en constituent un peu une caricature. D'ailleurs, un des étudiants de cinéma représentés dans le film s'affirme comme un passionné de cinéma de genre en général et de cinéma "bis" italien des années 60-70 en particulier. La sanction de ses camarades (protagonistes du film) tombe alors : il n'est pas digne de faire du cinéma, ou celui auquel il aspire n'a rien de l'art véritable qu'ils défendent, eux pour qui même Fincher n'est au mieux qu'un bon faiseur. Mais à ce moment-là, on peut encore avoir la faiblesse de penser que Jean-Paul Civeyrac ne partage pas totalement le point de vue de ses héros, qu'il fait preuve de quelque distance à leur égard et que si eux jugent avec mépris leur camarade, lui se montre un peu plus ouvert d'esprit. Le verdict tombe plus tard dans le film : au cours d'une soirée étudiante, voici William, l'amateur de cinéma de genre, qui présente deux filles qu'il vient de rencontrer à un de ses amis. Vous devinez la suite ? Ce lourdaud, évidemment, confond le prénom de l'une avec celui de l'autre, le voilà donc définitivement discrédité. Pour Civeyrac, les vrais artistes dans l'âme écoutent Bach, jouent du Mahler (et jouent de malheur), récitent "El Desdichado" de Nerval et vénèrent Novalis et Pasolini. Beaucoup de citations, donc, et après tout pourquoi pas - chez Godard, c'est génial. Oui, mais chez Civeyrac, c'est très scolaire. Quand les personnages balancent de très belles phrases empruntées à d'illustres artistes, ils ont le bon goût de donner les références : mais ceci ne fait que les présenter comme pédants sans jamais stimuler de quelconques audaces formelles ou narratives (à la différence, donc, de Godard). On parle beaucoup d'art et de l'état du monde ici, et l'un des personnages fantasme "un cinéma capable de représenter la vie dans toute sa vérité et sa fraîcheur" (je cite de tête). Tiens, justement, un mois avant Mes Provinciales sortait Mektoub, my love de Kechiche, qui filmait lui aussi la jeunesse et prenait pour héros un aspirant artiste ayant du succès avec les filles, mais qui ne passait pas trois heures à dire quel cinéma il faudrait faire mais le faisait, ce cinéma incroyablement vivant et incarné. Parce qu'il faut bien dire qu'ici, les dialogues (ceux de Civeyrac, hein, pas ceux de Novalis) sont souvent plats et illustratifs et que les personnages ne font guère que représenter des stéréotypes usés jusqu'à la corde (le héros mélancolique au regard forcément ténébreux, son ami gay juste assez efféminé pour apporter une touche de fantaisie bienvenue - ou pas). Voilà, après ce démontage en règle, voici le moment de justifier ma note pas si mauvaise en mentionnant quelques qualités. D'abord, je ne me suis guère ennuyé au cours de ces 2 h 15, soit que mon propre côté "intello littéraire et cinéphile" m'ait inconsciemment fait prendre du plaisir à voir ce type de personnage ; ou que les évidentes maladresses du film aient retenu mon attention en suscitant énervement ou agacement (et non de l'indifférence) de ma part ; ou encore que le film soit suffisamment bien mené et raconté pour maintenir un intérêt constant (la vérité se situe sans doute quelque part entre ces trois hypothèses). Ensuite, quelques scènes s'avèrent vraiment réussies : le visage de Sophie Verbeeck somptueusement découpé par les contrastes du noir et blanc (par ailleurs ni beau ni laid) lors d'une scène de dispute avec le protagoniste, ou encore la très belle scène finale, qui parvient à faire quelque chose dont le film semblait incapable : surprendre.
Car au bout de ce long travelling qui part du visage de l'acteur principal (Andranic Manet) pour aboutir à une fenêtre ouverte, la tentation du suicide est ici finement suggérée et pas laborieusement expliquée ou montrée.
Pour synthétiser le sentiment paradoxal que m'inspire ce film, j'écrirais qu'il aurait pu être excellent mais n'est finalement pas totalement raté.