Comparables au Lucien de Rubempré imaginé par Honoré de Balzac, la plupart sinon tous les protagonistes de ce superbe film sont des provinciaux montés à Paris (comme on dit) pour y faire des études et y concrétiser leurs rêves. Un commentaire entendu à la radio lors d’une des premières scènes nous divulgue une datation assez précise des événements puisqu’il y est question du « candidat » Emmanuel Macron. Cela étant dit, et même si les personnages communiquent beaucoup par l’entremise de smartphones ou d’ordinateurs, il se dégage du film, peut-être parce qu’il est tourné en noir et blanc, quelque chose de presque intemporel. Disons que chaque génération possède son lot de personnages semblables à ceux que met ici en scène Jean-Paul Civeyrac.
L’un d’eux, d’emblée, se détache : il se prénomme Étienne (Andranic Manet) et a quitté Lyon pour entreprendre des études de cinéma à Paris-VIII. C’est sur son cheminement que se focalise le cinéaste. Le garçon fait la connaissance de Valentina (Jenna Thiam), sa colocataire, avec qui se noue assez rapidement un jeu de séduction, et surtout il rencontre d’autres étudiants tout aussi passionnés de cinéma que lui et, en particulier, Jean-Noël (Gonzague Van Bervesselès) et Mathias (Corentin Fila). Avec eux, et surtout avec ce dernier, les débats sont houleux. Fort de ses convictions, Mathias ne rate pas une occasion d’en faire état, quitte à critiquer sévèrement le travail des autres. Tout le film est imprégné de discussions et de controverses à propos de cinéma, mais aussi de points de vue sur l’actualité, sur la littérature, la musique, etc.
Sans qu’on puisse le moins du monde le taxer ni de pédantisme ni de préciosité, le film multiplie les références à la littérature : à « Hurlevent des Monts » d’Emily Brontë dont Étienne offre en gage un exemplaire à Lucie (Diane Rouxel), sa petite amie de Lyon qu’il a laissée pour monter à Paris, à Gérard de Nerval, à Novalis et, surtout, à Blaise Pascal. Le titre même du film ne rappelle-t-il pas les lettres écrites par celui-ci en vue d’éreinter les Jésuites de son temps, fauteurs d’hypocrisie et de petits arrangements avec la morale ? Vérité et mensonge, loyauté et hypocrisie : ces thèmes irriguent tout le film. On les retrouve dans les jugements tranchés de Mathias, toujours prêt à dénoncer les compromissions, mais aussi et surtout dans les controverses passionnées qui opposent les férus de cinéma à Annabelle (Sophie Verbeeck), la nouvelle colocataire d’Étienne, activiste humanitaire, femme engagée sur le terrain, pour qui ne compte que l’action. Est-ce qu’un film peut changer quoi que ce soit à un monde en déroute ? Ne vaut-il pas mieux être résolument dans l’action plutôt que de se complaire dans des illusions artistiques ? Ces questions résonnent fortement sans, bien sûr, trouver leurs solutions. Étienne, quant à lui, qui se trouve toujours un peu en marge des débats, est bien obligé d’admettre ses petitesses lorsqu’il est question de ses rapports avec les femmes.
Mais c’est surtout lorsque le parcours de Mathias prend une direction inattendue et tragique que l’on sent vaciller Étienne. Qui était-il, en vérité, ce Mathias qui semblait si solide, si sûr de ses convictions ? Connaît-on jamais vraiment autrui ? Ou ne se contente-t-on que des apparences ? « Le soleil noir de la mélancolie », qu’avait entrevu Nerval, darde ses sombres rayons sur le film, c’est vrai, mais sans vraiment l’écraser ni l’envahir. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne fait pas d’apprentissage sans passer par des épreuves et des remises en question. Étienne, lui, poursuit son chemin, concevant des films qui, peut-être, seront nourris de ce qu’il a expérimenté et de ce dont il a été témoin. Le film en mouvement de Jean-Paul Civeyrac, en tout cas, remarquable à tout point de vue, a sûrement été nourri, fortement nourri, de vécu.