Un film intelligent et émouvant, même si son esthétisme a quelque chose d’un peu facile : sans le noir et blanc, sans la lenteur du rythme, et sans la bande-son (Mahler, Bach), la poésie ressentie serait-elle vraiment encore là ? Un film assez nombriliste et élitiste aussi, parfois un peu pédant, qui ne pourra parler et plaire qu’à un public lettré et cultivé. En effet, il faut pouvoir comprendre et savourer les références à Pascal, Flaubert, Pasolini, Novalis, Nerval, etc., sans parler de celles à quantité de cinéastes, puisque le personnage principal (Étienne) fait un master de cinéma à l’université de Paris 8 et ne fréquente que le petit monde intellectualisant de la pseudo bohème estudiantine. Cet Étienne, jeune Lyonnais cherchant confusément à s’affranchir de ses racines modestes, figure d’ailleurs, sur un mode transposé, le réalisateur lui-même (J.-P. Civeyrac) au temps où la poursuite de ses rêves l'avait fait « monter à la capitale ». Quelle qu’en soit la part de peinture autobiographique, le portrait ainsi brossé s’avère très intéressant. C’est d’abord celui d’un être assez falot et effacé, miné par l’anxiété, complexé par ses origines, égocentrique par faiblesse, avide d’authenticité mais pataugeant dans la duplicité et la mauvaise foi, avec tout leur cortège névrotique de dénégations. Car si Étienne se plaît à croire qu’il est aussi épris de vérité que le Pascal des « Provinciales » en lutte contre l’hypocrisie jésuitique, cette identification n’est tout au plus qu’une parade psychique contre la veulerie qu’il sent en lui. Il s’imagine qu’il « aime » (Lucie, ses amis, le cinéma, etc.), mais dans les faits il veut avant tout « être aimé » et satisfaire son besoin narcissique de réassurance. N’ayant que peu de personnalité, il est aisément subjugué par le charisme de ceux qu’anime une conviction étincelante. Ainsi, il est fasciné par Mathias et ce qu’il représente (i.e., le rebelle solitaire, l’esthète flamboyant, l’idéaliste torturé, le pourfendeur intransigeant et arrogant de la médiocrité), mais il n’est pas capable de le suivre, et au bout du compte il se contente de le voir passer comme une étoile filante dans la nuit. De même, il est attiré par Annabelle et ce qu’elle représente (i.e., la militante exaltée, l’activiste passionnée, l’altruiste engagée, etc.), mais une distance infranchissable les sépare : elle est de ceux qui vivent et qui « y vont » ; il est de ceux qui « n’y vont pas » ou qu’à moitié, et qui pour l’essentiel demeurent, contemplatifs, sur le rivage de la vie. Quant à Jean-Nöel, l’ami modeste et bienveillant, figure humble de la sollicitude et du dévouement, n’est-il pas logique qu’Étienne, uniquement admiratif de ceux qui brillent ou qui dominent, finisse par le traiter inconsciemment avec condescendance et mépris ? Certes, Étienne souffre, mais vu que ses tourments (l’angoisse, la haine de soi, la culpabilité, le sentiment de ne pouvoir communiquer avec les autres) procèdent en grande partie de son aspiration à la grandeur et des désillusions qui vont avec, je crois qu’il ne peut guère gagner la sympathie du spectateur, mais qu’il éveille plutôt la compassion que l’on ressent face aux âmes égarées qui sont complices de leurs propres malheurs. À la fin du film, alors que la fenêtre ouverte de son appartement lui remémore la tentation de l’abîme – cette funèbre option qui seule préserve nos idéaux de toute corruption, ce dernier saut dans l’absolu par lequel un Mathias s’est libéré de la réalité et de ses déceptions –, Étienne comprend sans doute qu’il a choisi la vie, et donc les compromis…