Alain Della Negra et Kaori Kinoshita collaborent ensemble depuis le début des années 2000. Avec Bonheur académie, les deux cinéastes ont voulu explorer une thématique leur tenant à coeur, celle des personnes qui essaient de contrer la solitude dans une société où les gens sont de plus en plus seuls : "Nous voyons ceux qui se connectent, comme ceux qui jouent à Second Life par exemple, ceux qui s’abîment dans des sectes ou inventent des communautés marginales, non pas comme des individus qui cherchent à fuir la réalité du monde ou à se cacher, mais au contraire, comme des individus qui essayent d’y participer davantage, d’en faire partie", expliquent-ils.
Pendant la phase de repérages, Alain Della Negra et Kaori Kinoshita sont allés au contact de nombreuses communautés, dont celle des raëliens au moment de leurs fameux stages d'été. L'un de ces stages, l'"Académie du bonheur" au nord de la Croatie, a servi de décor au film. Il s'agit du rendez-vous annuel des raëliens européens qui compte chaque année autour de 300 personnes. Della Negra et Kinoshita expliquent :
"Le mouvement raëlien étant considéré en France comme une secte dangereuse, ses membres ne peuvent se réunir officiellement et se retrouvent bien souvent stigmatisés, dans leur vie quotidienne et professionnelle. Ce sentiment de persécution accentue naturellement l’intensité des retrouvailles. Aussi, l’investissement de chaque participant pour en faire une semaine exceptionnelle « chargée de bonheur » nous a convaincus d’un potentiel sujet de film. Cela dépassait le caractère sectaire qui affleure dans les suspicions permanentes et les routines discursives des membres, et qui caractérise généralement l’unique angle à travers lequel on aborde ces communautés. Nous avons voulu approcher cette situation comme un concentré de notre époque anxiogène, et une possible ressource pour le cinéma."
Bonheur académie mêle acteurs et adeptes du mouvement de Claude Vorilhon, alias Raël. La parfaite réversibilité du projet, à la fois fiction et documentaire, était sa condition d’existence selon Alain Della Negra et Kaori Kinoshita :
"Sans mode d’emploi ni parcours fléché, le spectateur peut laisser le film rebattre ses a priori comme des cartes, ou au contraire filtrer chaque plan au tamis de son système de valeur, au risque de passer à côté de l’expérience qui lui est proposée, voire de prendre Bonheur Académie pour ce qu’il n’est pas : un parti-pris. Comme tous les films d’Alain Della Negra & Kaori Kinoshita, c’est avant tout une histoire de solitude : celle de Lily (Laure Calamy), venue à l’université raëlienne pour essayer de sortir d’elle-même, qui tente de draguer un jeune homme (Arnaud Fleurent- Didier), se heurte à une rivale (Michèle Gurtner) et retrouve, dans cet univers qui lui apparaît comme tolérant et décomplexé, les mêmes barrières que dans son univers quotidien."
Alain Della Negra et Kaori Kinoshita on fait le choix de la fiction pour avoir le droit de filmer l'"Académie du Bonheur" raëlienne où normalement aucune caméra n'est autorisée à entrer. Les deux cinéastes n'étaient ainsi pas perçus, au sein de cet espace, comme des médias, mais comme des artistes dont la logique oscille entre l’observation participante et les dispositifs de la téléréalité. Les metteurs en scène confient : "La fiction permettait aussi de faire glisser le statut des participants du stage à celui d’acteur ou de figurant à part entière, ce qui les protégeait. Ainsi, rien ne peut être utilisé contre eux comme preuve de leur appartenance au mouvement."
Le chanteur Arnaud Fleurent-Didier a accepté d’utiliser son propre nom et de construire son personnage dans le film à partir de lui-même. "Nous savions que la présence d’un artiste connu créerait une effervescence que nous pourrions utiliser", se souviennent Alain Della Negra et Kaori Kinoshita.
Via Bonheur académie, Alain Della Negra et Kaori Kinoshita ont voulu monter des raëliens que ce sont des personnes qui utilisent la fiction pour se débattre et remettre un peu de rituel dans leur quotidien. Les deux cinéastes expliquent : "Les raëliens nous ont semblé l’exemple parfait pour écrire notre fable, le décalage entre la taille du mouvement et sa place dans les médias par exemple, entre le récit de la technique pernicieuse et infaillible d’enrôlement… des épaulettes et un logo pour le moins difficile à vendre. On parle beaucoup d’aliénation ou de manipulation mentale à propos de ces pratiques sectaires et marginales, mais on oublie souvent que ce type d’aliénation et de manipulation mentale sont omniprésentes dans nos sociétés comme dans nos vies."
Le scénario de Bonheur académie devait être tourné dans un temps court, celui de la semaine de stage, ce qui a eu pour effet de comprimer les possibilités fictionnelles dans des interstices très brefs, avec peu d'opportunités de démultiplier les prises. Alain Della Negra et Kaori Kinoshita se rappellent :
"Mais c’est précisément cet équilibre fragile, fait de risques et d’imprévus dont nous avions besoin pour oser faire un tel film. L’équipe a vraiment participé au stage, certains sont montés sur scène faire des témoignages, ont participé aux ateliers lorsqu’ils le pouvaient. Il aurait suffi de peu pour casser une cohabitation délicate, nous avons eu beaucoup de chance. Sans grande expérience en direction d’acteurs, sans méthode, nous nous contentions, la plupart du temps, de les filmer comme nous le faisons d’habitude en documentaire."