Après avoir vu ce documentaire, je suis assez partagé. J’ai d’abord écouté Bertrand Périer s’exprimer lors d’une émission télévisée, et trouvant l’homme sympathique et intéressant, j’ai décidé de visionner le film. Moi qui fais des études de philosophie – laquelle entretient depuis toujours des liens à la fois conflictuels et complices avec la rhétorique –, j’étais curieux d’observer de quoi étaient capables des jeunes universitaires qui prétendaient à l’éloquence oratoire. J’ai été assez déçu, et principalement pour trois raisons. Tout d’abord, la confusion constamment faite entre spectacle – voire même, entre « show » (avec toute la connotation péjorative que ce mot suggère) – et art oratoire. On imagine mal Cicéron tenter d’amuser l’assemblée en imitant une vieille dame, et encore moins sautiller bêtement à l’annonce d’une victoire par le jury (accepter dignement de l’emporter sur son adversaire, avec humilité et élégance, fait partie de l’exercice d’un concours d’éloquence !). Ensuite, comme si ces jeunes avaient déjà toutes les cartes intellectuelles en main, toute la culture nécessaire pour s’adonner à un tel exercice, les professeurs semblent n’attendre d’eux qu’une participation plus ou moins décomplexée à la mise en scène de soi-même, mais à aucun moment ne leur parlent de Cicéron, d’Aristote, de Schopenhauer, de l’histoire de la rhétorique, ni ne les invitent à avoir une compréhension développée de ce qu’est la rhétorique, en quoi elle se distingue par exemple d’une démarche philosophique. Enfin, plutôt que d’apprendre véritablement quelque chose, chaque élève est renvoyé à sa propre spontanéité : l’un, excentrique, va se montrer si sûr de lui qu’il va en devenir lourd et arrogant, l’autre, plus intimidé, va tenter de cacher son manque d’assurance derrière une gestuelle exagérée et donc maladroite (comme c’est la mode chez les « youtubeurs », de se prendre pour des experts en communication). On atteint le grotesque quand une élève se met à « rapper », avec en main son téléphone portable qui diffuse de la musique… Est-ce vraiment l’idée que l’on doit se faire d’un exercice de niveau universitaire ? Où est l’éloquence ici ? Soyons sérieux.
Je ne doute pas de la bonne volonté de ces jeunes. Mais, j’ai le triste sentiment qu’on a voulu les enfermer dans la case « jeune de banlieue », et qu’on s’est dit : voilà ce qu’on peut faire de mieux avec eux. Eh bien non, il aurait fallu les élever, leur apprendre véritablement ce qu’est la rhétorique, c’est qu’est un argument, un sophisme, un syllogisme, etc.
Pour moi, le défi n’a pas été relevé, et appeler ce concours « eloquentia », c’est aller un peu vite en besogne. La vérité est que la maîtrise de la rhétorique demande un travail colossale, quasiment monastique, et dire à ces jeunes qui rappent et s’agitent nerveusement dans tous les sens qu’ils sont des orateurs, c’est leur mentir et du même coup les empêcher de faire mieux.