Les films d’animation japonais ont ceci de particulier que, nonobstant leur indéniable beauté du point de vue esthétique, ils abordent souvent et sans détour les sujets les plus graves, allant parfois jusqu’à mettre à nu les souffrances, les épreuves et les errements humains les plus terribles. C’est le paradoxe de beaucoup de ces films : les dessins sont admirables, les images somptueuses, tandis que ce qu’elles racontent est marqué de grandes douleurs. Il n’y a jamais, ou presque jamais, de mièvrerie dans ces films, même lorsqu’ils sont destinés à un public d’enfants.
Le film qui nous intéresse aujourd’hui convient davantage aux adolescents et aux adultes qu’aux enfants puisque, comme « Le tombeau des lucioles » (1988) d’Isao Takahata mais de façon moins désespérée, il aborde le drame de la guerre, prenant en compte le traumatisme le plus indélébile qu’ait connu le Japon, celui de l’anéantissement d’Hiroshima par une bombe atomique le 6 août 1945.
Cela étant dit, le film de Sunao Katabuchi ne se limite pas à ce terrible événement, mais il l’englobe en quelque sorte en s’attachant au cheminement de son personnage principal, Suzu. Du début des années 30 jusqu’à la fin des années 40, c’est son parcours qui est conté, celui d’une fillette, puis d’une adolescente, puis d’une jeune femme aimant s’exprimer (et de façon talentueuse) par le dessin et mariée très tôt et sans son consentement, ce qui la contraint à résider à Kure, à une vingtaine de kilomètres d’Hiroshima, en compagnie du mari qui lui a été imposé et de sa belle-famille.
Tout en égrenant les années, le réalisateur parvient, grâce à la force de son art, à nous faire ressentir la vie de cette toute jeune femme (un personnage dont les traits gardent immuablement la fraîcheur de l’enfance) forcée de vivre dans son « recoin » du Japon de ces années-là. Son engouement pour le dessin, Suzu le garde précieusement comme un trésor (ce qui occasionne de superbes séquences poétiques)
jusqu’à ce que le malheur survienne, le drame qui la prive de sa joie
. Les années de guerre ne laissent personne indemne, pas plus Suzu que les autres. Pourtant, pour elle comme pour tant d’autres Japonais, il faut chercher et trouver, malgré tout, une raison de vivre…
Oui, ce film est triste et grave, mais il est également beau et surtout, bien que mettant en scène des personnages de dessin animé, il est touchant, voire même bouleversant. Il témoigne, à sa façon, des dures épreuves, mais aussi des ressources d’espoir, des petits de ce monde, des oubliés, de celles et ceux qui vivent dans leur « recoin ». 8/10