Vivere est né du désir de Judith Abitbol de travailler sur ses rushes personnels qu'elle accumulés. En 2013, elle a ainsi demandé à Cyrielle Thélot, une jeune monteuse, de faire avec elle un premier travail de digitalisation et d’indexation depuis l'an 2000 jusqu’à aujourd'hui.
"De ces rushes sortiront plusieurs films de tous genres, de toutes durées ; j’abrite cette série sous le titre Certains fruits de l’asile. Vivere, le premier de ces films est une concentration, un précipité au sens chimique, de ce qui me pousse à filmer: garder la mémoire de la vie des êtres aimés et conserver ces traces. Retenir la vie, même quand la mort se présente. Ce que je fais aussi avec les fleurs, les animaux, les paysages. Filmer Ede Bartolozzi, cette vie minuscule qui d’emblée m’avait bouleversée, comme une rencontre avec un ange ou une fleur. C’est ainsi que je l’ai filmée. Quand je l’ai rencontrée fin 2001 j’avais une caméra à la main – c’est le plan que l’on voit dans les cinq premières minutes du film – quand elle nous a quittés en 2009 j’avais toujours une caméra à la main, entre ces deux dates, à chaque retour à Mod - igliana, le village où elle vivait et où sa fille Paola est née, je filmais presque tout. Pendant huit années je l’ai filmée et filmé ce qui était survenu", se souvient Judith Abitbol.
Si A bas bruit, le précédent long métrage réalisé par Judith Abitbol, était le fruit d’une longue préparation, une réflexion sur l’abstraction et l’invisible, Vivere est, à l'opposé, complètement dans le visible, "un réel dont j’étais presque toujours prête à recueillir les offrandes", d'après la cinéaste, en poursuivant : "La scène où je filme Ede dans son jardin, penchée sur les trèfles qu’elle cueille et vient me montrer, est l’une de ces offrandes."
En compagnie de la monteuse Cyrielle Thélot, Judith Abitbol a cherché à trouver un chemin autre que celui d’une chronique sur la maladie. Elle explique : "Je souhaitais partager au plus juste la beauté de ces êtres, leur amour, la vie. Nous avons tenté d’éclater la chronologie mais nous y revenions tout le temps en faisant de plus en plus d’ellipses. Le choix le plus significatif du montage est celui de la dernière séquence si joyeuse et tendre où on la voit revivre. Tout le portrait d’Ede se tient là. C’est au dérushage que j’ai pu raisonner sur mon principe de filmage car il s’était mis en place quasiment intuitivement : ne jamais sortir du cercle d’Ede, du village et de ses environs. Au fur et à mesure du montage, nous avons resserré sur Ede en écartant les séquences trop rudes. Dans l’avant-dernière version il y avait des scènes plus ouvertes sur la vie du village, j’ai décidé de tout supprimer, comme j’ai décidé de supprimer mes interventions au son."
Judith Abitbol a commencé à écrire avant de filmer. C'est lorsque son père lui a offert une caméra Super 8mm à ses 14 ans qu'elle s'est abondement prêtée à l'exercice de la mise en scène. Elle se souvient : "Des films très courts, fragments de regards par centaines, poétiques, expérimentaux, réalistes, documentaires, familiaux. Je n’ai presque jamais cessé. J’écris aussi bien des scénarios que des textes qui n’ont rien de cinématographique. Filmer pour moi c’est aussi écrire. Presque tous les cinéastes écrivent je crois, c’est très lié. Et puis : Ortega y Gasset a affirmé que chacun a un projet essentiel – peut-être unique – qu’il voue son existence à refuser, ou à accomplir, luttant presque toujours contre lui, dans un combat obscur, désespéré et vivant."