Se retrouver sur le cul tel un cowboy expérimenté en rodéo qui a été désarçonné par une vachette, voilà ce que j’ai ressenti en sortant du cinéma !
« Lucky » semble bien mal porter son surnom. En effet, être un cowboy de 90 ans qui vit seul dans un petit village perdu, avec des habitudes de vie réglées telle une horloge Suisse, cela ne semble pas des plus heureux… D’autant plus qu’il vit une crise existentielle très tardive.
De plus, réaliser un premier film avec un acteur sous exploité, sur un thème aussi casse gueule, voir repoussant pour certains, cela relève d’un pari impossible. Pourtant, John Carroll Lynch, nous livre une pépite improbable qui vient, fort logiquement, de l’ouest des USA, alors que le filon semblait être tari depuis belle lurette et réservé aux derniers chercheurs d’or du 7ème art.
Totalement centré sur Harry Dean Stanton, grand père de peu de mots, aussi bourru et asocial qu’une mule, qui préfère les mots fléchés aux conversations inutiles et qui le fait savoir sans filtres, c’est avec beaucoup d’humour, de tendresse et une justesse sans pareil que nous suivons son quotidien, que seuls quelques conversations et paysages désertiques viennent égayer au milieu de la force de ses habitudes répétitives et bien ancrées.
Que ce soit son corps vieilli, son âme endolorie, ses faiblesses qu’il protège derrière l’apparente solidité de son caractère ainsi qu’une démarche fière et volontaire, l’acteur nous livre beaucoup de lui-même, sans en rajouter, sans rien cacher, sur fond de musique country savamment choisie.
S’il vit dans un monde étriqué, il a pourtant vu du pays et c’est dans cet environnement, que fatalement, un grain de sable fini par se glisser dans ses rouages déjà fortement éprouvé mais qui tenaient presque miraculeusement, mus par la volonté pugnace d’un ex soldat de la Navy. C’est d’ailleurs en écoutant une histoire de guerre insolite (et magnifiquement narrée) qu’il va trouver une réponse à ses questionnements.
Entre mots d’esprits, humour noir, peinture sociale, surprises en tous genres, métaphores à tous les coins de rues, le film est d’une densité rare et d’une subtilité qui se mérite : il faut prêter attention aux détails et aux dialogues sinon, le film risque de sembler morne et simpliste.
S’il est croustillant de voir Harry Dean donner la réplique à David Lynch, on se délecte surtout de cet homme totalement attachant, cocasse et d’une humanité poignante. Rarement un film n’a montré avec autant d’exactitude l’esprit Américain de sa génération ainsi que le 3ème âge rural.
De la scène de début à celle de fin, la boucle est bouclée, que de symbolique, de spirales, de « simplicité complexe » et surtout, quel superbe adieu à la caméra : même s’il ne savait probablement pas qu’il jouait ce qui allait être son dernier rôle avant de nous quitter, la magnifique scène de fin est à la hauteur de la somme de sentiments engrangés tout au long du film !
Ce regard, ce sourire… WOW !