Qu'on ait 20 ans ou 80, on a tous croisé la gueule d'Harry Dean Stanton dans un film. Sa carrière, s'étendant de la fin des années 50 à 2017 est émaillée de collaborations avec Wim Wenders, Ridley Scott, John Carpenter, Michael Curtiz, Monte Hellman, Sam Peckinpah, Francis Ford Coppola, John Huston, David Lynch, Martin Scorsese, Robert Altman, Terry Gilliam, Agnès Varda. On l'a tous donc croisé au moins une fois et si on l'a croisé on l'a forcément aimé. Cet acteur incontournable du cinéma américain à la carrière incroyablement solide mais discrète n'a tenu que le haut de l'affiche deux fois dans sa carrière : pour le "Paris, Texas" de Wim Wenders et pour "Lucky", réalisé par John Carroll Lynch, acteur aperçu dans "Fargo" et dans "Zodiac". A le voir maintenant que Dean Stanton est décédé, "Lucky" prend la forme d'un film testament terriblement touchant, dernière balade de cinéma passée en compagnie d'un acteur qui n'a jamais été mauvais et qui n'a jamais cessé de tourner. Jamais d'ailleurs un acteur n'a bénéficié à ce point d'un dernier film aussi beau et aussi pertinent, formant un superbe baroud d'honneur. L'histoire est pourtant tout ce qu'il y a de plus simple : à 90 ans, Lucky est un vieil homme solitaire habitant dans une petite ville dans le désert. A son âge, il fume un paquet de cigarette par jour et finit toujours la journée à siroter du Bloody Mary dans un bar avec son ami Howard (joué par David Lynch, vieux complice de Dean Stanton) qui vient juste de perdre sa tortue, enfuie dans le désert. Comme le médecin de Lucky le lui a dit, à son âge si le tabac ne l'a pas tué, il ne le fera pas maintenant et il lui faudrait une balle en argent ou un pieu dans le cœur pour l'achever. Mais Lucky se sent vieillir malgré tout et inéluctablement, la mort est proche. Tout en effectuant un constat assez lucide sur la vieillesse et la mort à travers quelques jours dans la vie de Lucky (filmé sous toutes les coutures, torse nu, en caleçon, en gros plan), le film vient pourtant adresser une belle note d'espoir à ses spectateurs. Car quand Dean Stanton, bougon parfois insolent se fend d'un discours sur l'inéluctabilité de la mort et du néant qui nous attend, il finit par sourire face à cette affirmation car, après tout, il n'y a que ça à faire. Un sourire adressé face caméra dans le dernier plan du film, un sourire comme un adieu, un sourire qui tire la larme à l’œil mais qui affirme une volonté de vivre ahurissante au sein d'un film auquel on pardonne ses longueurs tant il est beau et lucide.