Yousry Nasrallah a eu l'idée de faire Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage en 1995, année où sortait en salles son documentaire A propos des garçons, des filles et du voile. Le cinéaste s'était rendu en compagnie de Bassem Samra à Belqas, la ville natale de ce dernier au nord-est de l’Egypte. Sur place, Yousry Nasrallah a pu constater que les cousins de l'acteur sont cuisiniers et c'est à ce moment qu'il a eu l'idée du film.
"J'ai écrit un premier scénario avec Bassem, puis plus tard une autre version de cette même histoire avec Nasser Abdel-Rahmane, avec qui j’avais écrit La Ville, mais cette version était trop politique. J’ai mis le projet de côté. A chaque film terminé je pensais y revenir, mais quelque chose d’autre surgissait. L’année dernière, je me suis dit que c’était la bonne...", explique-t-elle.
Yousry Nasrallah a cherché, via Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage, à se positionner à l'encontre de la dureté de notre époque et parler de ce qu'il aime dans la vie : "En l’occurrence, des choses de base, celles-là mêmes qui ont poussé les Egyptiens à sortir dans la rue en janvier 2011 : le pain, la dignité et la liberté. Le film part de cet élan-là, comme quand, en pleine épidémie de peste, circulaient les histoires du Décameron. Il y a des moments où les gens doivent se raconter des histoires pour se souvenir de la vie, et résister à la mort."
Yousry Nasrallah a souhaité que le mariage ait réellement lieu en extérieurs dans une vraie maison à Belqas. "Je tenais à cette vérité, pour montrer aux gens que ce que je montre existe vraiment et fait partie de nos vies. Il n’y a pas que l’austérité, la servilité, le manque de dignité que nous racontent les films plus dramatiques", confie le réalisateur.
Si Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage peut faire penser au cinéma égyptien populaire ou aux films de Bollywood, Yousry Nasrallah a davantage voulu se situer "dans une forme de paillardise très française, renoirienne peut‑être, où la nourriture et l’amour sont omniprésents !", d'après ses propres mots.
Via le meurtre du personnage d'Ashour et plus précisément la découverte de son corps, Yousry Nasrallah a cherché à faire en sorte que le spectateur pense à l'actualité récente en Egypte. "Tous les jours, on entend qu’on a trouvé tel ou tel cadavre au bord d’une route déserte... Le film résonne avec l’Egypte d’aujourd’hui, certes, mais il peut se lire aussi comme un conte intemporel : une méchante sorcière qui habite dans une maison semblable à celles des sorcières de Disney, avec des tours en forme de phallus, une princesse (en l’occurrence Shadia) qui vit dans une maison remplie de colonnes orientales... Et vous remarquerez qu’il n’y a quasiment pas de téléphones portables..."
"Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage" : il s'agit de trois éléments formant ensemble une image codifiée du paradis dans la poésie arabe. En ce sens, il s'agit d'un hymne au plaisir pour Yousry Nasrallah : "Un peuple qui ne sait pas jouir, aimer la beauté et baiser, n’est pas un peuple."
Faire un film épicurien comme l'est Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage constitue une prise de position politique en Egypte. Yousry Nasrallah explique : "Pourquoi un cinéaste comme moi, pour qui le contexte politique a toujours été central, se lance-t-il dans un film sur des choses apparemment de si peu d’importance ? Parce que ces « choses de si peu d’importance » restent finalement les plus importantes. Et du coup, quand les personnages commencent à parler de leurs désirs, du libre choix d’éprouver du plaisir (et de la douleur d’en être privé), du droit à la dignité, on est en plein dans le politique."